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  • La Révolution française et la social-démocratie. Transmissions et usages politiques de l’histoire en Allemagne et Autriche, 1889–1934 by Jean-Numa DUCANGE
  • Marie-Bénédicte Vincent
Jean-Numa DUCANGE. – La Révolution française et la social-démocratie. Transmissions et usages politiques de l’histoire en Allemagne et Autriche, 1889–1934, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 361p. Préface de Michel Vovelle.

Ce livre de qualité, issu d’une thèse de doctorat dirigée par Paul Pasteur, reconstitue tout un pan de la culture historique en vigueur au sein des social-démocraties allemande et autrichienne entre 1889 et 1934. À partir des années 1880, les sociauxdémocrates se réfèrent de plus en plus à la Révolution française pour la mettre en rapport avec la conception matérialiste de l’histoire. À partir de ce constat, l’ouvrage de J.-N. Ducange veut répondre à deux grandes questions : comment se construit la ou les interprétations de la « Grande Révolution » dans les deux partis ? Et comment celle-ci se transmet-elle ensuite dans leurs appareils ?

Cette thématique conduit à retracer, du point de vue des cultures politiques, l’évolution de la social-démocratie depuis la commémoration du centenaire de la Révolution française en 1889, année où est fondée la Deuxième Internationale et qui précède d’un an la levée des lois antisocialistes en Allemagne, jusqu’à la dissolution des deux partis allemand et autrichien en 1933–1934. Le propos suit un plan chronologique où les deux grandes césures sont les révolutions russes de 1905 et 1917, qui invitent nécessairement les théoriciens et cadres de la social-démocratie à repenser leurs références à la Révolution française.

La première phase, 1889–1905, s’ouvre avec la publication chez le même éditeur Dietz à Stuttgart de deux ouvrages appelés à devenir des « classiques » au sein de la social-démocratie, dans un contexte où domine en Allemagne l’œuvre de l’historien Sybel dénonçant la Révolution, Histoire de l’époque révolutionnaire de 1789 à 1800 (1853). Ainsi paraissent en 1888 le livre de Wilhelm Blos, La Révolution française – ce récit, jugé parfois populaire, contient en annexe le texte de la Constitution française de 1793 – et en 1889, l’ouvrage plus théorique de Karl Kautsky, La lutte des classes en France. Ils vont figurer dans toutes les bibliothèques ouvrières et ancrer [End Page 163] chez les militants la conviction que l’histoire de la social-démocratie allemande est inséparable de 1789. Au-delà, la période du « long centenaire » (1890–1895) voit une floraison de parutions sur la Révolution française, notamment des articles dans la revue théorique Die Neue Zeit, mais aussi, pour un lectorat plus large, des comptes rendus d’ouvrages dans le supplément dominical de vingt-neuf quotidiens sociauxdémocrates, Die Neue Welt, tiré à 650 000 exemplaires avant 1914. Globalement, la doxa sociale-démocrate voit dans la Révolution française une révolution bourgeoise contre la domination féodale et, en tant que telle, une étape dans le développement de l’histoire. Mais elle ne constitue pas un modèle de révolution prolétarienne socialiste pour le présent. L’image de la Révolution est d’ailleurs surtout celle des années 1789–1794 et le groupe hébertiste est considéré comme le représentant authentique du peuple, tandis que Robespierre et la violence politique qui lui est associée sont appréhendés de façon critique.

Entre 1895 et 1905, J.-N. Ducange constate un affaiblissement de la référence révolutionnaire en général dans les deux partis et un tassement des publications consacrées à ce sujet. La révolution sert même de contre-exemple à Eduard Bernstein lors de la crise révisionniste : dans ses articles publiés à partir de 1897 dans Sozialistische Monatshefte (la revue concurrente de Die Neue Zeit dans laquelle s’exprime Kautsky), Bernstein se demande en effet si la...

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