La question régionale au Québec

La question regiona/e au Quebec* FERNAND HARVEY I. LE DISCOURS SUR LA QUESTION REGIONALE Au Quebec, la realite regionale est un fait qui plonge ses racines relativement loin dans l'histoire. Cependant, le discours sur cette realite est beaucoup plus recent; ii s'est surtout manifeste depuis la Revolution tranquille. Non pas qu'on ignorait la question regionale auparavant, mais on en parlait differemment. Que s'est-il done passe pour que la "region" fasse l'objet de discussions publiques? C'est a cette question qu'il nous faut repondre. Les realites sociales etant liees, pour une bonne part, aux perceptions qu'on en a, ii n'est pas inutile de s'interroger sur la nature et !'evolution du discours sur la region au Quebec. La confusion du vocabulaire On admettra au depart, sans s'etendre sur le sujet, l'ambiguite du concept de region. Nombreux sont les geographes qui ont critique voire decrie ce concept a cause de son caractere flou et insaisissable , lequel rend impossible !'identification de criteres objectifs irrefutables. Car on peut, tout aussi bien utiliser ce concept al'echelle d'une vaste region economique mondiale (ex. la region des pays developpes) qu'a celle d'une mircoregion (ex. la Beauce). I La confusion du vocabulaire est particulierement manifeste dans le cas canadien. Ainsi, lorsqu'on parle des disparites regionales a Ottawa, la notion de region equivaut generalement a celle de province ou d'un groupe de provinces. Le Quebec est alors considere en tant que region au meme titre que les autres. Cette approche purement economique ne tient pas compte de la dimension ethnique et culturelle qui fait que le Quebec ne peut etre considere comme une simple region economique. Vu de Quebec, les disparites regionales concernent certaines parties du terri74 toire quebecois. Cette approche intra-provinciale existe sans doute pour les autres provinces canadiennes mais elle est masquee, au niveau du discours tout au moins, par l'approche pan-canadienne des disparites regionales. Le fait que le Quebec possede son propre discours sur les disparites regionales a l'interieur de son territoire constitue un indice de I'existence d'une societe distincte et suffisamment ancree dans le temps et dans l'espace pour permettre !'emergence de regions ayant leur propre histoire et leurs propres traditions. On le voit done: parler des regions au.Canada pose un probleme d'echelle, selon qu'on.se situe sur le plan pan-canadien ou intra-provincial. C'est particulierement manifeste dans le cas du Quebec. Mais pour que la region ait un sens sociologique ii faut qu'elle se ramene a une echelle plus reduite que celle des grands decoupages abstraits des economistes et des specialistes de la planification . C'est pourquoi, la region dont ii sera question ici est le territoire habite qui constitue un espace intermediaire entre la municipalite et l'Etat, en l'occurrence l'Etat quebecois, en depit du caractere "provincial" de ce dernier. 11 est quasi-impossible de tracer des frontieres precises entre les regions au Quebec, du fait qu'il ne s'agit pas d'entites politiques. Criteres economiques , sociaux, culturels et administratifs s'entrecroisent et reproduisent autant de decoupages regionaux superposes. Faut-il, des lors, renoncer atraiter de la question regionale? Non, dans la mesure ou on en parle, justement. Discours regional et conjoncture Or, ce discours sur _ la region varie selon la conjoncture historique et selon les acteurs sociaux qui le formulent. Ainsi, a partir du milieu du 19e siecle, ii existe un discours regional sans qu'il s'avoue comme tel: c'est celui de la colonisation des regions peripheriques du Quebec. Ce discours est de nature clerico-nationaliste et est lie davantage a la question nationale: la survivance et !'expression de la nationalite canadienne-fran9aise. II existe toute une propagande gouvernementale ala fin du 19e siecle et au debut du 20e siecle qui prone la colonisation des nouvelles regions du Quebec. On en retrouve des traces dans les nomRevue d'etudes canadiennes Vol. 15, No. 2(Ete1980 Summer) breuses brochures publiees a l'epoque sur ce sujet.2 Arthur Buies fut sans doute le plus ardent propagandiste du mouvement comme en font foi ses livres sur les...