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  • Vies et morts d’un Crétois lépreux by Epaminondas Remoundakis, Maurice Born
  • Steéphane Zygart
Vies et morts d’un Crétois lépreux
Epaminondas Remoundakis et Maurice Born
Trad. par Maurice Born et Marianne Gabriel
Toulouse: Éditions Anacharsis, 2015, 528 p., 26€

Vies et morts d’un Crétois lépreux est un livre d’une très grande richesse sur les relations entre épistémologie et exercice des pouvoirs dans le traitement des maladies. L’ouvrage offre également la rare occasion d’accéder aux effets du pathologique dans leurs différentes [End Page 528] échelles – des relations affectives les plus intimes jusqu’aux lois sanitaires les plus générales – en montrant que ces effets ne cessent d’interagir, de façon très concrète, dans des figures surprenantes. Reprenant le projet d’une anthropologie de la maladie de Marc Augé, l’étude permet aussi de réviser, par le cas de la lèpre au 20e siècle en Europe, certaines thèses de Michel Foucault.

Entre 1904 et 1955, les lépreux crétois, puis grecs, furent internés de force sur la petite île aride de Spinalonga, sans jamais pouvoir ensuite regagner leurs foyers, même après la mise au point de thérapies efficaces et l’abolition de la loi qui les avait placés là. Vies et morts d’un Crétois lépreux en donne le récit et l’analyse, par une composition en deux parties bien distinctes mais qui se suivent parfaitement. La première partie (337 p.) est l’autobiographie d’Epimanondas Remoundakis, qui est tout sauf un récit folklorique, la seconde partie (200 p. environ) est un essai de l’anthropologue Maurice Born sur le sort fait à la lèpre en Grèce depuis le Moyen-Âge, qui ne cherche pas la formalisation théorique et privilégie l’exposition d’éléments historiques, médicaux et sociaux.

Né en 1914 en Crète, Epaminondas Remoundakis déclare la lèpre à l’âge de 8 ans. Il doit alors s’enfuir de l’île vers Athènes pour éviter l’internement prescrit aux lépreux en Crète depuis 1901. Aidé par sa famille, soigné à l’Institut Pasteur d’Athènes, il fait partie des rares étudiants en droit. Mais la loi crétoise a été étendue à la Grèce en 1929. Dénoncé par une cousine, Remoundakis est arrêté malgré ses tentatives de résistance et interné. Ses compétences, rares parmi les lépreux, l’amènent à aménager l’île sur laquelle il reste une vingtaine d’années. Devenu aveugle, oublié par ses proches, étranger à la société moderne, il meurt en 1978 dans un ancien centre anti-lépreux d’Athènes.

L’ambiguïté des rapports familiaux dans le récit, sources de solidarité, de dénonciations, durables mais finalement effacés par l’absence, souligne d’abord l’importance de la proximité dans l’expérience des maladies. Mais l’impact des lois est encore plus fondamental. Les lois écrasent les rapports de proche en proche en obligeant à des séparations; elles transforment également ces rapports en modifiant la perception de soi et des autres. Le livre retrace ainsi le passage, décret après décret, de l’innocence enfantine à la prudence du malade exilé puis aux luttes d’un interné. Un fait exprime à lui seul ce nœud entre le juridique et le proche : être déclaré lépreux, c’était voir son nom effacé des registres de naissance, administrativement inexistant donc coupé de toute possibilité de transmission d’héritage [End Page 529] familial – ce qui empêcha tout retour, même quand la règle de l’exil sur l’île de Sapinalonga fut levée.

La vie de Remoundakis témoigne des formes entrecroisées de l’extrême violence envers les lépreux grecs il y a 70 ans. S’y donne à voir aussi l’absurdité qui commandait leur sort: brusquement exclus alors qu’ils vivaient depuis des siècles au contact des populations saines, la faible contagiosité de la maladie étant connue ; internés...

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