Bernardin de Saint-Pierre: Genèse et philosophie de l'œuvre by Gabriel-Robert Thibault (review)

Dans son livre, Gabriel-Robert Thibault se propose en cinq chapitres—portant respectivement les titres significatifs de « Genèse », « L'Ingénieur géographe », « L'Ingénieur philosophe », « Le Poète de la création » et « Postérité »—d'aborder les présupposés scientifiques, philosophiques et culturels qui ont contribué à l'élaboration de l'œuvre bernardienne dans sa totalité. Dès les premières lignes, le critique ne craint pas d'exposer à ses lecteurs en termes non équivoques une méthode dont il ne va point se départir tout au long de son livre: « Les premiers pas d'une vie intellectuelle sont régis par l'éducation. L'être s'ouvre au monde des idées. Pour qui regarde la littérature comme un mode de comportement, l'éducation est une genèse, la promesse d'une œuvre. Le milieu culturel envahit la pensée, les leçons des maîtres sont des avant-textes. C'est le point de vue qui dirige notre approche de Bernardin » (15). Cette conviction que Thibault affiche dès le début est respectée à la lettre puisque le lecteur aura droit aux diverses étapes de la formation suivie par Bernardin comme à un leitmotiv qui non seulement ponctue de manière systématique les moments décisifs de sa vie mais encore trop souvent, ces étapes de formation sont présentées en tant qu'élément susceptible à lui seul d'expliquer la vision du monde ainsi que l'orientation que prendra plus tard sa carrière d'homme de lettres.

En effet, c'est à cet effort (combien considérable) que s'emploie Thibault lorsqu'il part à l'affût du moindre détail—et grâce à une documentation bien fournie—qui a marqué la formation reçue par l'enfant d'abord chez les jésuites, en passant par l'Académie des belles Lettres et Arts de Rouen et en terminant par le cursus inachevé à l'École des Ponts et Chaussées. Itinéraire durant lequel Bernardin est lauréat de deux prix en mathématiques et d'un prix en dessin. Durant ce parcours, le jeune apprenant est également soumis à l'influence durable d'esprits forts tels que celui du peintre Jean-Baptiste Descamps, du mathématicien Louis Ligot, de l'anatomiste Le Cat et du botaniste Guy Pinard, entre autres.

Le fait d'insister d'une part sur le passage de Bernardin par deux grandes écoles, en début et en fin de formation, celle des jésuites et celle des Ponts et Chaussées ainsi que sur les voyages effectués par le jeune homme dans l'Europe du Nord (en Hollande, en Prusse, en Pologne et en Russie) et à l'Île-de-France (actuellement l'Île Maurice) et d'autre part sur son engagement en tant qu'ingénieur géographe lors de deux campagnes militaires d'importance (celle de Westphalie et celle de Russie) fournissant au jeune recru un terrain d'application de ses divers apprentissages, permet à Thibault de pourvoir le lecteur des éléments essentiels lui permettant la compréhension des deux grandes œuvres apologétiques de Bernardin à savoir les Études de la Nature et les Harmonies de la Nature. Mais encore faut-il ajouter à cette formation pluridisciplinaire l'effort constant fourni par le philosophe dont le but est de concilier, une fois confronté au monde physique, une attitude contemplative incitant à la méditation (fruit de son passage chez les jésuites) et une attitude d'humanisme actif (caractéristique du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées) influence que le lecteur saisit aisément à la lecture des relations de voyage où l'aspect technique et le souci d'être utile dominent et guident les réflexions du voyageur.

En fait, les lecteurs s'aperçoivent du grand effort que l'auteur fournit puisque loin de les enfermer dans des paysages...