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  • Poésie
  • Élise Lepage

L'année 2015 en poésie a réservé plusieurs belles surprises venant tant de la relève que d'auteurs confirmés. La diversité des sujets et des formes est bien sûr ce qui frappe le plus, même si certains traits, tels que le souci d'une grande lisibilité ou une sourde inquiétude quant à l'état du monde, sont au cœur de plusieurs recueils, tout en affleurant dans d'autres. Par principe, cette chronique débutera par les recueils publiés par les éditeurs les plus fragiles, tout en ménageant une place pour ceux œuvrant en contexte minoritaire en Acadie, en Ontario et dans l'Ouest, avant d'en venir aux éditeurs établis de longue date.

les solitaires

Aux Poètes de brousse, au Lézard amoureux ou à la Peuplade, la poésie ne se publie pas par dizaines de titres; un souffle, une inventivité, une énergie—tout cela qu'il faudrait mettre au pluriel—se dégagent pourtant des recueils publiés chez ces éditeurs, souvent par de jeunes auteurs.

Les petits poèmes de Nous les vivants de Stéphanie Filion portent ainsi le sceau d'une sensibilité bien singulière: « Je me fais du thé / une tasse d'eau de pluie / de la patience. // Cette histoire n'est pas terminée ». Le [End Page 351] titre évoque l'impuissance d'un père et de ses enfants face à la mort imminente de la mère: « Les médecins ont dit / un mois / au mieux deux ». « Réunis au bout de la table en bois / vous connaissiez déjà / les jours sans mère », comme si la mémoire ne pouvait qu'être future, non encore advenue. Les gestes de toujours, les façons d'être au quotidien sont en cours d'archivage, alors même que le poème les énonce: « Je te rejoins au matin / tu as dormi sur une chaise / le veilleur de nuit / c'était toi / tu as tes lunettes / ta veste la douce à pois / je sais que ce n'est pas le moment / mais je te trouve beau ». Une certaine modestie, celle notamment que chacun ressent face à la mort, se dit avec délicatesse à travers chaque bref poème: « La nuit est tombée / assis à côté du lit / tu frôles son bras / tes mains cherchent / comment toucher ton père / du doigt tu suis / les motifs du tissu. // Toute ta tendresse ». Stéphanie Filion réussit à rendre avec beaucoup de justesse ces instants par ailleurs fréquemment abordés en poésie. La singularité de son approche tient à l'effacement de la figure mourante pour précisément se centrer sur « les vivants » et leur désarroi. En sortant du face à face serré et intime entre le sujet et le mourant qu'on lit souvent ailleurs, Filion agrandit l'espace d'empathie pour y faire place à la souffrance du père, des frères et des proches.

Les Corps simples de Sonia Cotten eux aussi sont incroyablement vivants et animés d'une voix qui passe par toute une variété d'inflexion, de l'indignation à la colère, en passant par la tristesse et le doute, et cela, sur fond de « pulsation du beat naturel du monde / comme unique chanson ». Tout simples qu'ils soient, ils sont le vecteur d'émotions complexes qui se répondent d'un poème à l'autre, ou parfois même au sein d'un seul vers: « Habites-tu toi aussi deux mondes / sans qu'aucun ne t'habite? » Ancrés explicitement dans le réel, certains poèmes interrogent les valeurs qui innervent nos comportements et nos croyances: « Y a-t-il un Panama / dans la cartographie de tes valeurs? // Ton pas résonne dans l'absence des 1 186 filles / et femmes autochtones disparues / sans laisser de carte au trésor. // Aucun indice vers notre dignité ». L'action, que ce soit marcher, pardonner, espérer, parler ou poser un geste, est l'horizon que se donne ce recueil: « ce qui fait qu'une ville est une ville / un discours plus que des paroles // ce sont des humaines capables d'agir. // Dans cinquante...

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