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  • Roman
  • Pierre Karch

Dans Les yeux ouverts, Marguerite Yourcenar, seule femme de l'Académie française, disait à Matthieu Galey qui l'interviewait : « Bien sûr, il faut apprendre son métier, seulement, quand on est musicien, on fait des gammes en chambre, et on n'ennuie que sa famille, tandis qu'hélas un jeune écrivain publie quelquefois trop vite… » Ce qui était vrai en 1980, l'est toujours aujourd'hui et, malheureusement pour les critiques, est plus fréquent.

Dans son « Journal d'écriture » qui paraît à la fin de son recueil de nouvelles, Concerto à la mémoire d'un ange (2010), prix Goncourt de la nouvelle, Éric-Emmanuel Schmitt définit ainsi ce qu'il entend par « gros livres » qui ne répondent pas à la conception qu'il se fait du roman :

Je me demande si ce n'est pas le mauvais goût cossu qui s'exprime. On veut de l'écriture pleine pâte, des chapitres avec des descriptions, des dialogues qui ont l'épaisseur du bavardage ; l'on exige des informations historiques si le roman est situé dans le passé, ou des dossiers journalistiques si cela se passe aujourd'hui. Bref, on aime le labeur, la sueur, la compétence affirmée, le travail qui se voit : on veut montrer la pièce aux amis, leur prouver qu'on ne s'est pas laissé plumer par l'artiste ou le marchand.

Devant un roman de huit cents pages, s'exclame M. Fromage, on est sûr que l'auteur a travaillé. [End Page 309]

peut-être pas, justement…

Réduire un récit à l'essentiel, éviter les péripéties inutiles, ramener une description à une suggestion, dégraisser l'écriture, exclure toute complaisance d'auteur, cela prend du temps, cela exige des heures d'analyse et de critique.

Schmitt résume ainsi : « Je considère que l'art de l'écrivain, tel l'art du dessinateur, consiste à opérer des choix : poser un cadre juste, déterminer le plus juteux à raconter, dire beaucoup avec peu. » C'est selon toute évidence, ce qui ne s'enseigne pas dans les diverses universités du Québec où l'on accorde des maîtrises et des doctorats en création littéraire.

alto

Dominique Fortier est née à Québec. Après un doctorat en littérature française à l'Université McGill, elle exerce les métiers de réviseure, de traductrice et d'éditrice. Au péril de la mer, titre et derniers mots de son cinquième livre publié chez Alto, depuis 2008, prix du Gouverneur général, raconte une histoire d'amour qui traverse les siècles. L'action commence au XVe siècle, au Mont-Saint-Michel et se termine au présent.

david

Professeur titulaire au Département d'études françaises, hispaniques et italiennes de l'Université de la Colombie-Britannique, André Lamontagne sait qu'une introduction sert à présenter le sujet à développer et prêche par l'exemple : Olivier Dumais « peinait sur une histoire du syndicalisme dans la ville de Québec ». Et pour ceux qui ne sauraient pas sur quoi porte son premier roman, Dans la mémoire de Québec. Les fossoyeurs (2010), paru chez le même éditeur, il le lui dit au moment où il présente Rachel Ng, la compagne d'Olivier : « Elle ne passait pas inaperçue dans les rues de Québec, où les citoyens d'origine asiatique n'étaient pas légion. » Ensuite, l'auteur invite son lecteur à établir des rapprochements entre lui et son personnage principal : « Olivier partageait une histoire similaire d'exil et de déplacement entre Québec, sa ville natale, et Vancouver, sa ville d'adoption. » Le difficile n'est pas tant d'écrire un roman historique que de choisir son point de vue : « […] il ne savait plus de quelle mémoire se réclamer : celle du patronat ou celle des syndicats? Celle des syndicats inféodés aux intérêts conservateurs de l'Église ou celle des syndicats plus militants? Celle d'un journal francophone, mais conservateur comme La Minerve ou celle d'un journal anglophone, mais libéral comme The Quebec Mercury...

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