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  • Orientation et désorientation dans la poésie du vingtième siècle
  • Patrick Meadows

À l'aube du vingtième siècle, les poètes que n'habite pas une foi résolue dans le progrès et l'avenir–Verhaeren, Apollinaire, et autres disciples de Whitman et de Marinetti–perçoivent le monde comme un espace très paradoxal. Alors que la surface de la Terre est presque entièrement cadastrée, et que les terrae incognitae se sont raréfiées sur les mappemondes, ils cherchent en vain une boussole pour s'orienter. Immense, l'espace terrestre n'est plus pour eux un lieu. Comme le postule Hugo Friedrich dans ses Structures de la poésie moderne, la mise en cause radicale de la métaphysique, à l'époque de Nietzsche et de Mallarmé, a privé les prêtres du langage de ce "lieu" suprême à partir duquel on pouvait définir les grandes directions. Verlaine parlait de Dieu comme de la "Rose immense des purs vents de l'Amour": dans le vide immense de l'absence divine, les orients s'estompent. À l'épopée moderne de la conquête du monde s'oppose, dans l'imaginaire, un non-lieu labyrinthique. Non que les points cardinaux, garants d'une structuration symbolique de l'espace, aient entièrement disparu de la poésie du vingtième siècle, mais ils y acquièrent des connotations souvent déroutantes, ce qui peut paraître un comble. Certains poètes semblent au contraire affirmer leur sens des directions de l'espace, montrer qu'ils n'ont pas "perdu le Nord," mais la force même de cette affirmation trahit le besoin de reconstruire le sens dans une étendue dévastée, un "waste land" où la valeur des points cardinaux ne va plus de soi.

Les poètes catholiques, évidemment, sont ceux qui résistent le mieux à l'immense désorientation de la modernité, du moins en apparence. Dans sa "Prière aux masques," Léopold Sédar Senghor, un poète catholique qui, comme Claudel, utilise la forme biblique du verset, se réfère aux points cardinaux pour reconstruire un monde dévasté par la Seconde Guerre mondiale. Dans un élan syncrétique, c'est aux Ancêtres de la religion africaine préchrétienne, [End Page 211] représentés par leurs masques, qu'il s'adresse pour rassembler les fragments épars de ce grand corps cosmique, dont les continents–notamment Europe et Afrique–sont comme les membres disjoints et écartelés:

Masque noir, masque rouge, vous, masques blanc-et-noir,Masques aux quatre points d'où souffle l'Esprit,Je vous salue dans le silence!

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L'Esprit, selon l'Évangile, souffle où il veut. Sous la forme du vent, il souffle ici des quatre points de l'espace : la "négritude" de Senghor n'est pas l'exaltation d'une race particulière, fût-elle victime, mais plutôt la célébration d'un humanisme universel. Les masques des ancêtres, disposés sur l'aire sacrée aux quatre points cardinaux, sont donc les garants de valeurs à la fois éternelles et "catholiques" au sens claudélien. Eux seuls sauront réconcilier le Sud et le Nord, l'Afrique "princesse pitoyable" et "l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril," mais qui n'est, lorsqu'elle est livrée à ses démons, que "le monde mort des machines et des canons."

Lorsque le poète du vingtième siècle n'est pas aussi fermement "orienté" vers le divin, l'une des réactions possibles devant l'immensité sans repères du monde est celle de la fuite. Fût-il croyant, un Blaise Cendrars se jette à corps perdu dans la fuite en avant du voyage, même si c'est pour rencontrer, dans la pérégrination sans fin, le même dégoût que les voyageurs de Baudelaire. Dans la célèbre "Prose du Transsibérien," Cendrars célèbre l'adolescent fugueur et instable qu'il a été, aussi précoce et apatride que Rimbaud:

En ce temps-là j'étais en mon adolescenceJ'avais seize ans...

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