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  • La Fiction hérétique. Créations littéraires arabophones et francophones en terre d'Islam by Mounira Chatti
  • Joëlle Gardes
Chatti, Mounira. La Fiction hérétique. Créations littéraires arabophones et francophones en terre d'Islam. Paris: Classiques Garnier, 2016. ISBN 9782406057307. 232 p.

Dans notre époque bouleversée, il n'est pas sans intérêt de nous interroger autrement que sociologiquement ou politiquement sur les causes des troubles et de la violence dans le monde. C'est ce que fait Mounira Chatti par une réflexion sur la littérature. À partir d'un corpus de romans égyptiens et algériens modernes et contemporains, l'Égypte et l'Algérie faisant, rappelle-t-elle, figure "d'expériences emblématiques" (9) par leur situation politique, par leur histoire, et, pour la seconde, par le choix fréquent du français comme langue d'écriture, elle analyse le statut de la littérature de fiction "dans des sociétés saturées par les croyances et les dogmes religieux" [End Page 217] (9). Comme l'indique le titre de la première partie, ces sociétés font le "procès de la fiction," qui met à mal leur immobilisme. La deuxième partie, "Scénographies hérétiques," s'intéresse aux formes d'opposition que revêt la fiction et la troisième décrit la "représentation de la violence historique." Un fil conducteur parcourt le livre: la fiction ne peut être qu'hérétique aux yeux non de l'islam lui-même, mais du dogme qu'on a pu en tirer. Mounira Chatti rappelle qu'en langue arabe, le nom qui désigne la nouveauté et le mot qui désigne l'hérésie ont la même racine. Un fossé irréductible sépare deux conceptions: d'un côté, la valorisation d'un réel qui se confond avec une vérité intouchable, de l'autre, les droits de l'imagination, mais surtout, d'un côté l'orthodoxie, qui repose sur la certitude d'une origine et d'une langue intangibles, de l'autre, toutes les formes de nouveauté et de liberté. Aussi, la peur de la fiction est-elle répandue dans les sociétés arabo-islamiques.

Point n'est besoin de s'en prendre ouvertement au dogme, l'existence même de la fiction est subversive. Toute forme de littérature est menaçante, car la poésie, le théâtre et le roman inventent de nouvelles façons de dire. C'est que la question de la langue est essentielle. La littérature s'est "paupérisée," car le dogme de l'inimitabilité de celle du Coran interdit toute innovation linguistique, le recours aux dialectes, la modernisation de la langue, et ceux qui les pratiquent sont des hérétiques. Mais le roman est plus hérétique encore que la poésie, car il raconte, propose des intrigues de personnages, renvoie à l'Histoire: "La fiction déconstruit les ressources du passé, annonce les possibles de l'avenir, crée de nouveaux symboles; c'est ainsi qu'elle menace les structures du pouvoir politique, social, symbolique" (121).

Cette hérésie, les écrivains qu'étudie Mounira Chatti, comme Kateb Yacine, Salim Bachi, Tahar Djaout, Assia Djebar, Tâha Hussein, Nagîb Mahfouz, Nawâl el-Saadâwi, ou encore ceux qu'elle cite, comme Salman Rushdie, Nedim Gürsel, Driss Chraïbi, Mohammed Choukri, Rachid Boudjedra, Tawfiq al-Hakîm, Alaa al-Aswany, Gibran Khalil Gibran, Mouloud Mammeri, Mikhaïl Naimy … , l'assument, à leurs risques et périls, par le comique, la dérision, le travestissement de la vie et du rôle de Mahomet, son historicisation, sa réécriture, le rôle dévolu à la femme. Le mythe de l'origine, en particulier, est un terrain privilégié pour les romanciers, qui ne confondent pas la légende avec l'Histoire et cherchent à lui substituer une connaissance rationnelle. En définitive, leur démarche consiste à ne plus prendre le mythe fondateur au pied de la lettre, mais à l'inscrire dans l'histoire et à l'interpréter. Le mouvement de...

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