Collecte coloniale et affect. Ramper, dédoubler ed. by Mathieu K. Abonnenc, Lotte Arndt, et Catalina Lozano (review)

Cet ouvrage collectif dirigé par Mathieu Abonnenc, Lotte Arndt et Catalina Lozano est une œuvre singulière en raison de son approche transdisciplinaire et transnationale. Son organisation rend sa classification bien difficile. Il porte sur la collecte de lépidoptères et d'insectes dans les colonies francophones, d'une part, et intègre des contributions sur le musée, l'architecture et la photographie dans une mise en rapport critique ou valorisante du passé (pré)colonial et du présent postcolonial. Du mélange de littérature, de sciences naturelles, de médecine, d'études architecturales et d'arts visuels, comme le cinéma et la photographie avec une présence de la peinture, il résulte une série de discussions qui ont eu lieu pendant la 8e Biennale de l'art contemporain de Berlin organisée en 2014. Son titre s'inspire de L'Afrique fantôme, ce journal de voyage que Michel Leiris écrivit entre 1931 et 1933 alors qu'il était le secrétaire-archiviste de la mission Dakar-Djibouti, un périple au cours duquel il rejeta la logique de la pratique coloniale de l'ethnographie dépourvue d'affect et adopta une "ethnographie personnelle" où il "[s'est] empêtré dans l'écriture—lui-même à travers les autres" (11).

Le livre comprend quatre parties que l'introduction présente très clairement. La première partie, "Insectes et classements: entre entomophilie et entomophobie," précise le contexte colonial des collectes d'insectes, d'oiseaux et d'animaux ainsi que le besoin de les nommer et de les classer. L'acte de nommer de telles espèces remet en question la binarité entre nature et culture, selon les directeurs de l'ouvrage. Se concentrant sur la chasse aux papillons ou les espèces entomologiques dans la première partie, Julien Bondaz montre les enjeux politiques et les caractéristiques littéraires de la collecte et de la représentation des lépidoptères par les explorateurs (y compris les chasseurs et les écrivains, dont André Gide). L'intérêt de la contribution de Bondaz, dans cette première partie, est qu'elle met en relief les façons dont la chasse aux papillons dans le contexte colonial participe de l'appropriation esthétique et scientifique de l'Afrique, d'une part, et "signale les rapports de pouvoir entre les colons et la population locale," tout en étant le "lieu ambivalent où colonialisme et parasitisme se rejoignent, s'opposent ou se confondent," d'autre part (51). À la suite de Bondaz, Lotte Arndt revient sur le film Secteur IX B (2015) de Mathieu K. Abonnenc pour offrir "quelques réflexions sur l'entomologie coloniale et la phobie dans la modernité" (55). Pour ce faire, Arndt voyage entre le présent du film d'Abonnenc et le passé colonial où le grand-père de ce dernier souscrit, par ses recherches médicales sur la maladie du sommeil dans la province du Moyen-Ogooué au Gabon, à l'institutionnalisation étatique des campagnes de collecte en Afrique coloniale. La particularité de l'analyse de Lotte est qu'elle nous éclaire sur la pratique méticuleuse de la collecte, la portée de la dénomination des espèces animales ou microbiologiques collectées, tout comme sur la corrélation entre l'implantation d'instituts Pasteur en Afrique coloniale, le découpage du territoire et la lutte contre la maladie du sommeil. Aussi, faudrait-il retenir cette lecture métaphorique de la lutte contre la maladie du sommeil par les campagnes pastoriennes, qui "peut être […] symptomatique de la lutte précaire pour garder la maîtrise de soi et de l'environnement colonial" (83). Lotte n'hésite pas à recourir à la théorie postcoloniale pour inscrire l'ambivalence et la défiance des oppositions binaires dans cette analyse où cette lutte témoigne d'une "dimension psychique du projet...