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  • Les Spectres de Lumumba et l'héritage colonial belge
  • Kathleen Gyssels (bio)

Introduction

En février 2016, les facultés de lettres et de sciences politiques de l'Université d'Anvers organisaient un colloque bilingue, en français et en anglais, sur une double problématique: l'iconographie de Patrice Lumumba dans les arts et les lettres et l'œuvre du cinéaste haïtien, Raoul Peck. Bien que les deux langues aient été d'usage tout au long des débats, seule une session, significativement sur l'héritage littéraire de Lumumba, s'est déroulée en français. Cette exception illustre bien en elle-même combien les chercheurs francophones, de surcroît belges, ainsi que leurs collègues travaillant en langue néerlandaise, peinent à affronter le chapitre du passé colonial belge. Il est vrai que la génération postindépendance (la mienne) a à peine appris dans les manuels d'histoire (du moins pendant le cycle secondaire) ce qui s'est déroulé durant cette année 1960, car le roi Baudouin, encore en vie, semblait exclure la possibilité de faire la pleine lumière sur Lumumba et sur ce qui précéda, le règne de son grand-père Léopold II. Une certaine amnésie collective, qui a fait l'objet de la réflexion de Pierre Mertens en 2004, a longtemps fait obstruction à la recherche, d'autant que, par ailleurs, la production littéraire sur le Congo belge correspondait alors à un seul titre, de surcroît canonisé dans le champ anglo-saxon: Heart of Darkness (1901) de Joseph Conrad.

Nouvelles Études Francophones a su se faire l'écho de cette recherche sur l'héritage de Lumumba dans les lettres francophones, en proposant ici trois articles de Christa Stevens, Kathleen Gyssels et Serge Goriely, auxquels s'ajoutent deux autres textes écrits par Anne Cornet et Marc Poncelet d'une part, Pascal Blanchard et Maarten Couttenier d'autre part, textes émanant d'un partenaire important, le Musée d'Afrique de Tervuren. En pleine rénovation (principalement à cause d'une scénographie totalement démodée et, qui plus est, idéologiquement connotée), l'équipe de Tervuren ne s'est épargné aucun effort pour continuer ses activités extra-muros.

Le premier texte, "L'Héritage colonial du Congo," coécrit par Anne Cornet et Marc Poncelet, est une réflexion sur ce rapport biaisé des Belges à leur ex-colonie et sur la question du repentir belge. [End Page 95]

La même année, en 2016, s'est tenue à Liège une exposition sur les "zoos coloniaux," à la Cité Miroir. Pascal Blanchard et Maarten Couttenier reviennent, dans le deuxième texte, sur la mode des fins d'empires coloniaux et les expositions coloniales. Comme l'ont montré aussi Catherine Hodeir et Michel Pierre dans L'Exposition coloniale (1991), titre également d'un roman d'Érik Orsenna, ces foires avec de "vrais sauvages" sont un phénomène très en vogue à l'époque coloniale, en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Belgique. Voyageant d'un pays à l'autre, les "zoos humains" réduisent l'Autre au rôle d'attraction. Les indigènes, exposés comme des curiosités exotiques, renforçaient le spectateur blanc et l'Européen dans ses préjugés et ses partis-pris colonialistes. Pascal Blanchard et Maarten Couttenier reviennent sur l'essor et la singularité belges d'un phénomène européen, montrant comment la mission civilisatrice s'articula à la propagande.

Que le colloque se soit déroulé à Anvers n'est pas anodin: le port d'Anvers était le point de départ des bateaux qui ramenaient les denrées coloniales du "Kongo" (avec la lettre "K"). C'était le lieu symbolique d'où partaient les vapeurs aux noms clinquants: Bruxellesville, Albertville, Anversville, Léopoldville, Stanleyville.

Mais la ville d'Anvers est aussi la ville où un écrivain flamand fit paraître ses premiers romans, controversés et sulfureux selon plusieurs critiques, sur le Congo. Jef Geeraerts publia chez Manteau non pas son premier roman, Ik ben maar een neger ("Je ne suis qu'un nègre," qui sera...

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