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  • Imposant, sans imposerTzvetan Todorov (1939–2017)
  • Kathleen Gyssels1

Nous venons d'apprendre le décès de Tzvetan Todorov à Paris, le 7 février, à l'âge de 77 ans. Todorov était une figure importante de la théorie et de la critique littéraires, un penseur impressionnant, tant dans le domaine de l'histoire des idées que dans la littérature de témoignage. Différents moments dans sa carrière ont fait de lui un chercheur interdisciplinaire d'une grande érudition. Dans les années 1960 et 1970, il traduit les formalistes russes et renouvelle l'analyse du récit, en empruntant à la sémiotique, à la science des signes et de la signification. Membre fondateur de la revue Poétique avec Gérard Genette et Hélène Cixous, il est aussi l'auteur de Théories du symbole (1977) et des Genres du discours (1978). À partir des années 1980, Todorov tourne le dos au linguistic turn pour s'intéresser aux symboliques de la rencontre entre les cultures et les civilisations, aux questions de fond que pose La Conquête de l'Amérique: La Question de l'autre (1982). Sémanticien (Sémantique de la poésie 1979), il s'inspire de Mikhaïl Bakhtine (Mikhaïl Bakhtine: Le Principe dialogique 1981) et de Vladimir Propp, dont la Morphologie du conte est bien utile pour qui s'intéresse aux traditions orales antillaises.2 Linguiste et structuraliste, il offre, dans Introduction à la littérature fantastique, une théorie du genre qui fait toujours autorité, distinguant le surnaturel du fantastique, le merveilleux de l'étrange. En 1984, Critique de la critique apparaît comme un adieu à son orientation structuraliste. Il choisit alors de s'intéresser à la sphère sociale et politique dans Nous et les autres: La Réflexion française sur la diversité humaine (1989) et Le Jardin [End Page 1] imparfait: La Pensée humaniste en France (1998). Fin lecteur des encyclopédistes, il se lance résolument dans l'histoire des idées en interprétant les Lumières à travers l'œuvre de Rousseau (Frêle bonheur: Essai sur Rousseau, 1985), de Voltaire et de Diderot, mais aussi de leurs ancêtres, comme Montaigne ou Lahontan. Todorov se passionne aussi pour ces écrivains nomades qui ont tant fasciné les théoriciens antillais: Segalen et Lévi-Strauss. L'émergence de la figure du "bon sauvage" lui inspire Nous et les autres (1989), dans lequel il fustige l'Occidental qui se permet de figer l'autre (que Todorov écrit avec une lettre minuscule dans sa préface à L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident d'Edward Saïd). Après ces ouvrages restés célèbres, une nouvelle étape s'amorce avec La Conquête de l'Amérique: La Question de l'autre et Nous et les autres (1989). Il est curieux que les chercheurs sur la culture et la littérature des Antilles françaises n'en aient pas davantage profité, car par la rencontre entre Colomb et les "sauvages," il a théorisé le choc entre la culture occidentale et la culture amérindienne. Todorov devient vite un incontournable pour les analyses de fictions caribéennes, tant de nombreuses fictions haïtiennes, martiniquaises et guadeloupéennes se consacrent à la figure de l'étranger, de l'immigré. Pour qui s'intéresse à la production littéraire des Antilles et, par extension, caribéenne et postcoloniale, les essais de Todorov sont des balises précieuses. Toujours attentif à ce qui risque de devenir un nouvel "ordre," une nouvelle "vogue" ou une "chapelle," l'essayiste met ses lecteurs en garde contre le rassemblement et l'étouffement idéologique. Dans le contexte des "Lois mémorielles," comme la loi Taubira du 21 mai 2001 sur la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité, Todorov en vient à philosopher sur la justice face aux totalitarismes et aux esclavagismes. Il montre la nécessité de reconnaître les barbaries dans l'histoire européenne et il devance les "revendicateurs" de la repentance en examinant les modalités de "conservation du passé," refusant la sacralisation comme la...

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