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  • Histoire d'un sacrifice. Robert, Alice et la guerre (1914-1917)by Nicolas Mariot
  • Mathieu Marly
Nicolas MARIOT.– Histoire d'un sacrifice. Robert, Alice et la guerre (1914-1917), Paris, Le Seuil, 2017, 448 pages. « L'Univers historique ».

Comment expliquer le sacrifice d'un homme en temps de guerre ? C'est à cette question que répond le dernier ouvrage de Nicolas Mariot en s'appuyant sur la correspondance de Robert Hertz, jeune et brillant sociologue disciple de Durkheim, mort au front le 13 avril 1915. Cette étude prolonge les pistes ouvertes par le travail précédent de l'auteur, consacré aux intellectuels dans les tranchées de la Grande [End Page 139]Guerre 17, en proposant une relecture des analyses structurales consacrées à ce groupe, cette fois à l'échelle d'une expérience singulière. Il faut dire que le cas Hertz mérite toute l'attention du chercheur. Affecté au début de la guerre dans l'infanterie territoriale, à l'abri des premières lignes, celui-ci demande à être envoyé au front et refuse par la suite les possibilités d'embusquage, emporté par l'élan sacrificiel que révèle sa correspondance intime. Robert Hertz ne doit pas seulement sa mort, comme tant d'autres, au hasard des obus et des affectations. En cela, l'angle d'observation rappelle celui adopté par Christopher Browning dans son étude consacrée au massacre des juifs du village polonais de Josefow, par des soldats allemands à qui le commandement laisse le « choix » de participer ou pas au meurtre de masse : l'argument de la stricte contrainte militaire–l'obéissance aux ordres–ne peut plus être avancé pour expliquer le destin des soldats, meurtriers dans un cas, « morts pour la France » dans l'autre.

Pour rendre compte de ce jusqu'au-boutisme héroïque, Nicolas Mariot choisit de traiter l'épaisse correspondance de Robert Hertz dans son intégralité, sans jamais laisser de côté les sujets les moins en rapport avec l'expérience guerrière. La méthode suivie par l'auteur consiste à ne pas se tenir uniquement là où s'affirment les différentes étapes de la radicalisation–pour s'étonner ensuite que celle-ci ait eu lieu–mais à saisir tous les méandres de la pensée de Hertz durant ses huit mois de guerre, des considérations qui le ramènent à sa position de civil (famille, socialisme, ethnographie, etc.), aux doutes sur son propre engagement. Cette exhaustivité pourrait être réduite à l'obsession biographique du détail. Elle permet en réalité de contourner la linéarité du récit par l'exposé des possibles non advenus : pourquoi Robert Hertz choisit cette voie plutôt que cette autre qui lui était offerte ? Pourquoi, alors même qu'il en a l'occasion, refuse-t-il les possibilités d'embusquage pour se maintenir au front ? Faire la part des possibles, de la chronologie et de la contingence revient à considérer que ce processus n'était pas inéluctable. L'histoire de ce sacrifice n'est donc pas la chronique d'une mort annoncée. Robert Hertz n'était pas déterminé à ce jusqu'au-boutisme guerrier et peut-être, comme le souligne l'auteur, lui a-t-il manqué « un mort et deux mois »–la perte d'un proche et la lassitude qui s'installe dans les rangs de l'armée à partir de l'été 1915–pour que s'affaiblissent les raisons de sa détermination.

C'est dire combien celle-ci dépendait de la position (chronologique, spatiale, sociale) occupée par le jeune sociologue dans l'armée et la société française en guerre. Il est vrai que les facteurs explicatifs de cette fuite en avant ne manquent pas. Robert Hertz appartient à cette génération sacrifiée de normaliens que leur formation intellectuelle, leur engagement politique et leur affectation prioritaire dans l'infanterie ont exposés plus que d'autres à la mort dans les tranchées. Disciple d'Émile Durkheim, Hertz est un spécialiste des rituels religieux et trouve certainement dans sa conception du monde social quelques raisons de justifier son sacrifice pour la collectivité nationale...

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