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  • Migrations, colonisation. France-Algérie, XIXe-XXe siècles
  • Sylvie Thénault

À bien des égards, les articles d'Hugo Vermeren et de Muriel Cohen font le grand écart. Situés aux antipodes de la longue séquence chronologique de la colonisation française en Algérie – le premier traitant du XIXe siècle, le second de la période postcoloniale – ils s'intéressent au traitement de populations issues de flux inversés; de l'Europe vers l'Algérie pour Hugo Vermeren, de l'Algérie indépendante vers la France pour Muriel Cohen. Ils traitent en outre de populations migrantes différentes – respectivement Européens et Algériens – dans des contextes très dissemblables1.

Les migrations européennes vers l'Algérie au XIXe siècle s'inscrivent dans le cadre du développement d'un peuplement colonial de l'autre côté de la Méditerranée. En dépit des incertitudes sur la solidité de la tutelle française et sur le projet à concevoir pour l'Algérie, il a en effet été très tôt acté que celle-ci serait vouée à recevoir une population européenne nombreuse. De façon pragmatique, cette dernière palliait les carences de la main-d'œuvre locale – ce qu'analyse le texte d'Hugo Vermeren – mais était aussi pensée comme nécessaire à la réalisation d'un idéal jamais atteint; celui d'une colonisation agricole couvrant le territoire de petites propriétés. De fait, comme le dit Hugo Vermeren, la population européenne a toujours été majoritairement urbaine. Il n'en demeure pas moins que cette stratégie d'implantation a conduit à la formation d'une très forte minorité européenne dans la colonie, représentant près d'un million d'habitants sur un total de neuf millions au moment de l'indépendance. Ainsi l'Algérie peut-elle être inscrite au rang des « colonies de peuplement ». Bien qu'elle ne s'apparente pas aux colonies où les populations locales ont été décimées et confinées dans des réserves, telles que le Canada ou l'Australie, elle a bien été le siège, au XIXe siècle, de politiques visant à réduire les espaces possédés et exploités par les Algériens au profit des Européens, qu'il s'agisse, suivant les terminologies de l'époque, de « refoulement », « resserrement », « recasement » ou encore « cantonnement », avant que soit mise en œuvre une vaste entreprise de dépossession foncière 2. [End Page 3]

À l'autre extrémité de la période coloniale, par-delà même l'indépen-dance, les migrations d'Algériens vers la France répondent à un schéma plus ordinaire; celle d'étrangers quittant leur pays pour des raisons économiques avec, dans le cas algérien, la perpétuation de flux remontant à l'entre-deux-guerres, lorsque la métropole constituait une destination évidente pour des sujets coloniaux l'ayant massivement découverte à l'occasion de leurs engagements dans l'armée et l'industrie entre 1914 et 1918. L'indépendance elle-même ne marque pas de rupture immédiate dans les flux migratoires, explique Muriel Cohen, dans la mesure où les Algériens continuent de bénéficier d'une liberté de circulation vers la France jusqu'en 1965. Socialement, leur « enracinement » – pour reprendre le terme de l'auteure – était déjà un fait acquis, notamment grâce à l'installation de familles et non seulement de célibataires.

Chacun des articles, par conséquent, s'inscrit dans des domaines diffé-rents de l'historiographie. Leur rapprochement permet toutefois de formuler des propositions pour le développement d'une histoire prenant à bras-le-corps, ensemble, migrations et colonisation.

Les Européens et l'Algérie française

L'histoire de la population européenne de l'Algérie relève typiquement d'une approche rétrospective, influencée par la fin; les départs massifs de ceux qui étaient devenus des Français d'Algérie – départs mal nommés « rapatriements » car il ne s'agissait pas, pour l'immense majorité d'entre...

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