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Reviewed by:
  • Les discriminés. L'antisémitisme soviétique après Staline by Sarah Fainberg
  • Sophie Cœuré
Sarah Fainberg Les discriminés. L'antisémitisme soviétique après Staline Paris, Fayard, 2014, 416 p.

Dans cet ouvrage, issu de son doctorat en sciences politiques, Sarah Fainberg se propose d'écrire l'histoire politique, sociale et mémorielle d'un épisode important de l'histoire soviétique et post-soviétique: «la rémanence non meurtrière, mais sidérante d'un antisémitisme d'État en Europe, quelque deux décennies après la Shoah» (p. 27) et les conséquences de cette norme officieuse, fluctuante et non violente, sur la vie privée et professionnelle des individus. Si l'avant-propos évoque avec délicatesse la dette de l'auteure envers son père Victor Fainberg (il fut l'un des huit participants à la brève manifestation qui eut lieu sur la place Rouge le 25 août 1968, lesquels payèrent durement leur protestation contre l'intervention des chars soviétiques en Tchécoslovaquie), elle ne fait pas de son histoire personnelle un principe de recherche, ni un ressort d'écriture. C'est moins vrai, au demeurant, dans les deux derniers chapitres consacrés à la mémoire de la Shoah en Urss, et surtout en Russie et en Ukraine après la chute du communisme, qui sont marqués par une nette rupture de ton et l'irruption d'un «je» plus émotionnel dans une pérégrination sur les lieux de mémoire occultés.

L'enquête se fonde sur soixante-et-un entretiens, menés entre 2002 et 2011 en Russie, en Ukraine, en Israël et aux États-Unis, parfois complétés par des archives personnelles confiées par les témoins. S. Fainberg s'appuie également sur les sources publiées (statistiques, édition du «samizdat juif», notamment) et sur les archives de l'association Memorial documentant la dissidence. Elle discute franchement la question de l'usage des archives de l'ex-Urss, qu'elle juge souhaitable mais qui n'a pas été possible, autant à cause de la difficulté d'accès aux fonds du Comité central du Parti pour la période qu'en raison de la nature même d'une norme discriminatoire non officielle circulant largement par les consignes orales et par ce que les Soviétiques appelaient la «justice téléphonique».

La bibliographie révèle une érudition solide, à la hauteur d'enjeux historiographiques multiples et internationalisés. La rigueur de la démarche se trouve cependant un peu obérée par une édition peu soigneuse. Le courage d'un éditeur commercial a permis la publication de cet ouvrage, touchant un plus large public sur un sujet difficile. Le prix à payer est sans doute la relégation du contenu savant dans les cent pages d'annexes qui proposent aux lecteurs concernés les perspectives méthodologiques, puis, dans des notes très longues, l'explicitation précise des termes (Einsatzgruppen par exemple), des événements (la campagne anticosmopolite sous Staline, les accords d'Helsinki, etc.), la biographie des témoins et la présentation des débats méthodologiques, autant historiques que sociologiques, sur des notions aussi importantes que l'exclusion, la discrimination, le racisme d'État ou la dimension criminelle du communisme.

Les récits de vie déroulés tout au long de l'ouvrage confrontent, avec une intensité différente selon les lieux et les moments, deux questions majeures de l'histoire soviétique et post-soviétique. La première est celle de la place des juifs dans la politique des nationalités menée par le régime communiste. L'auteure s'inscrit dans une historiographie récente qui souligne le paradoxe d'un principe universaliste, égalitaire et démocratique, évoluant vers la construction et la réification de catégories nationales assignant les individus à une identité et par là même à un destin. Celui-ci fut tragique dans le cas des «peuples punis» des régions frontalières, envisagés par Staline comme une menace et victimes par centaines de milliers de déportations préventives...

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