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Reviewed by:
  • L'économie de Dieu. Famille et marché entre christianisme, hébraïsme et islam by Gérard Delille
  • Emmanuel Désveaux
Gérard Delille L'économie de Dieu. Famille et marché entre christianisme, hébraïsme et islam Paris, Les Belles Lettres, 2015, 344 p.

Sous un titre un brin paradoxal, Gérard Delille montre comment les trois grandes religions monothéistes issues du monde antique font système au sens structuraliste du terme, autrement dit comment elles entretiennent entre elles des rapports d'inversion qui sont corrélés à plusieurs niveaux de la réalité sociale. La parenté, au sens où l'entendent en général les anthropologues, sert de levier à l'auteur, luimême historien, afin de brosser un large tableau du développement différentiel de l'Occident et du Moyen-Orient en fonction de la prédominance de telle ou telle religion. Au-delà de la parenté, l'argument mobilise de nombreux faits de nature théologique, juridique, dynastique, technique et, enfin, économique. Sa progression emprunte à différentes échelles d'analyse, allant de la micro-histoire, en se focalisant sur les communautés dont les archives recèlent de bonnes séries généalogiques – élément clé de la démonstration –, à la reprise critique des grandes synthèses historiques classiques. Au fond, bien que G. Delille s'en défende, son propos possède une indéniable tonalité wébérienne. Il renoue de même brillamment avec Karl Polanyi et sa fameuse thématique de l'émergence, en Occident à l'époque moderne, du marché comme domaine autonome, séparé de l'activité humaine.

La première partie du livre pose les jalons en mettant en relief ce qui différencie les règles matrimoniales dans les trois sphères respectives du judaïsme, de l'islam et du christianisme. Dans le judaïsme, le mariage entre oncle et nièce est préconisé, tandis que dans l'islam, c'est celui entre cousins germains patrilatéraux qui est érigé comme norme. Face à ces logiques d'endogamie s'oppose la règle que l'Église impose progressivement, à partir du haut Moyen Âge, à tout l'Occident chrétien. Ici, une exogamie très étendue, presque infinie, prévaut puisque est frappée d'interdit toute union en deçà du quatrième canon de parenté (extension considérable qui exclut comme conjoint potentiel jusqu'aux personnes issues des arrière-arrière-grands-parents).

Au total, on peut dresser le schéma suivant. À l'exogamie quasi absolue du christianisme s'oppose l'exogamie relative des systèmes juif et musulman. Ainsi que le rappelle G. Delille à la suite de nombreux auteurs, notamment à propos du mariage arabe, ces derniers exigent toujours un assez large degré d'exogamie pour «fonctionner»; ils ne peuvent être entièrement endogames. Cela étant, leurs endogamies respectives les différencient dans la mesure où le mariage arabe renforce la patrilinéarité, là où les pratiques endogames des juifs (qui incluent le lévirat et le sororat) tendent à effacer l'opposition entre maternel et paternel. Les juifs se rapprochent à cet égard des chrétiens qui se situent du côté du cognatisme en matière de filiation.

La deuxième partie déplace l'argument sur le terrain de l'économie. Chez les musulmans, le système parental est signe de fermeture; seule la guerre de conquête, synonyme de redistribution à large échelle des richesses, y est un facteur de développement. Chez les juifs, l'alternance entre endogamie et exogamie parentale aussi bien que locale, associée au maintien de liens autant paternels que maternels, privilégie la constitution de réseaux aux ramifications étendues. Ceux-ci sont prédestinés [End Page 981] à servir de support à des opérations commerciales à distance. Enfin, chez les chrétiens, l'exogamie forcée, mais aussi la monogamie et l'impossibilité d'adopter – ce qui revient à conférer à la filiation une sorte d'instabilité structurelle – se révèlent un atout considérable d'un point de vue psychosocial. Poussant à dépasser l'horizon de ses proches pour trouver un conjoint, intériorisant la fragilité des lignages, l'exogamie incite à une ouverture maximale d...

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