Abstract

Les travaux de Morten Jerven offrent une mise en perspective historique des techniques employées par les administrations nationales et les organisations internationales pour mettre en nombre et analyser la croissance des économies africaines. Selon lui, les réalités économiques et sociales nationales échappent largement aux travaux des statisticiens et des économistes depuis le début de l'ajustement structurel. L'informalisation des économies, la faiblesse des institutions statistiques et le manque de rigueur méthodologique des experts internationaux auraient conduit à la production de fictions statistiques. Les analyses de M. Jerven remettent en question les récits produits par l'histoire économique quantitative, comme l'existence d'une supposée faillite économique africaine depuis 1960. Elles interpellent aussi la sociologie de la quantification en mettant en lumière des cas nationaux où les calculs de la croissance seraient aléatoires. Mais son approche souffre de plusieurs faiblesses. Alors que ses premiers travaux reposaient sur des études de cas nationaux détaillées, l'auteur s'est récemment concentré sur la critique des discours produits à l'échelle du continent, les comparaisons internationales et les études économétriques, sur la croissance en particulier. Son travail s'est éloigné d'une ethnographie fine des chiffres et a fait de la dénonciation des récits continentaux son fil rouge. Ce glissement l'empêche de penser finement la place des chiffres dans les sociétés, la pluralité des positions et des modes d'action qu'ils engagent, ou encore les trajectoires historiques singulières dans lesquelles les calculs de la croissance africaine s'insèrent.

Morten Jerven's work offers a historical perspective on the techniques used by national administrations and international organizations in Africa to calculate and analyze economic growth. In his view, the work of statisticians and economists has largely failed to account for national economic and social realities since the beginning of the structural adjustment period. The informalization of economies, the weakness of statistical institutions, and the lack of methodological rigor among international experts have led to the production of statistical fictions. Jerven's analysis calls into question the usual narratives produced by quantitative economic history, such as that of an African economic failure since 1960. It also opens a dialogue with the sociology of quantification, highlighting cases where growth calculations appear arbitrary. However, his methodology suffers from a number of weaknesses. While his earliest works were based on detailed national case studies, Jerven's recent analyses have focused on the critique of continent-wide discourses, in particular international comparisons and econometric studies of growth. His work has thus moved away from a careful ethnography of statistics toward a focus on the denunciation of global practices. This shift prevents the author from making precise reflections on the various roles of numbers in African societies, the multiple positions and modes of action that quantification engages, or the many historical trajectories which calculations of African growth are supposed to represent.

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