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Reviewed by:
  • Freedom Papers: An Atlantic Odyssey in the Age of Emancipation by Rebecca J. Scott and Jean M. Hébrard
  • Myriam Cottias
Rebecca J. Scott et Jean M. Hébrard Freedom Papers: An Atlantic Odyssey in the Age of Emancipation Cambridge, Harvard University Press, 2012, 259 p.

Avec cet ouvrage, Rebecca Scott et Jean Hébrard proposent un infléchissement des positions de l'historien cubain Juan Pérez de la Riva qui affirmait dans les années 1970 que les esclaves faisaient partie des «gens sans histoire1». Ce jugement a constitué pendant longtemps une limite heuristique et une gageure pour les historiens. Ont prévalu ainsi les analyses systémiques privilégiant les études quantitatives de population, à la fois globales et localisées, sur les plantations et dans les villes; les flux économiques de denrées coloniales (sucre, café, coton et tabac) et la déportation de captifs traités vers les Amériques pour y être mis en esclavage; les formes de résistance mises en œuvre par les esclaves (marronnage, empoisonnements, infanticides, avortements…), ainsi que les révoltes, voire les révolutions – avec le paroxysme de celle de Saint-Domingue en 1792; le genre et les femmes…

Si des figures de héros et d'héroïnes se sont imposées, comme Nanny à la Jamaïque, la mulâtresse Solitude (quoique le personnage ne soit pas totalement attesté par les archives) et Louis Delgrès en Guadeloupe, Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines à Saint-Domingue/Haïti, Joseph Furcy à La Réunion, Lumina Sophie en Martinique – des figures toutes liées à la révolte des esclaves et de leurs descendants –, les esclavisés, dans leur destin singulier, demeuraient sans visage et sans histoire, une masse anonyme soumise à la domination des propriétaires d'esclaves et de l'administration coloniale, et inscrite dans un [End Page 1016] temps de l'esclavage pratiquement linéaire et sans anfractuosité. Quelques biographies anglophones réalisées dans le cadre des campagnes abolitionnistes, comme celles d'Oloudah Equiano Gustavus Vassa, de Mary Prince ou de William Wells Brown, entre autres, sont connues et ont contribué à transformer des vies d'esclaves en récits emblématiques. D'autres histoires de vie non héroïques, banales, ont été enregistrées par le projet américain intitulé «Born in Slavery: Slave Narratives from the Federal Writers' Project, 1936 to 1938» et ont donné lieu à différentes interprétations. Mais la recherche historique a longtemps buté sur l'écueil du silence autour des «sans nom».

Ce n'est que récemment qu'il a été possible de les retrouver et de circonscrire leur individualité au sein des systèmes esclavagistes et post-esclavagistes à travers, en particulier, des procès de droit privé2. Ces sources ont permis d'évaluer non seulement les incidences des textes juridiques sur les individus, mais aussi les revendications, les accusations ou les conflits portés devant les cours. Elles ont rendu possible la reconstruction des «situations d'esclavage» en révélant toute leur complexité. Ces documents soulignent, pour la plupart, outre les effets de la violence de la domination, l'agency et/ou la subjectivité des esclavisés et de leurs descendants. Ils montrent l'importance de l'enregistrement des actes juridiques ou infrajuridiques devant les autorités publiques, souvent les notaires. Les documents de manumission et d'affranchissement permettent dans cet ensemble d'observer la ligne de partage entre «libres» et «esclaves» mais n'en disent pas tout.

Ces «papiers de la liberté» qui rendent possible la reconnaissance du sujet et la construction de sa citoyenneté ont organisé les recherches de R. Scott et J. Hébrard. Leur ouvrage trouve son point de départ dans les Archives nationales de Cuba avec la découverte fortuite d'une lettre d'Édouard Tinchant datée de 1899 et envoyée depuis Anvers. L'homme écrit au général Máximo Gómez, leader de la révolution d'indépendance cubaine, pour lui demander la permission d'utiliser son image pour les boîtes de cigares qu'il commercialise, en se déclarant «fils d'Afrique», d'«ascendance haïtienne», homme dont le père...

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