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Reviewed by:
  • Renaissance Impostors and Proofs of Identity by Miriam Eliav-Feldon
  • Pierre Chastang
Miriam Eliav-Feldon Renaissance Impostors and Proofs of Identity New York, Palgrave Macmillan, 2012, viii- 292 p.

Si l'imposture et l'escroquerie sont de tout âge et de tout temps, Miriam Eliav-Feldon, bien consciente de l'ampleur du phénomène, a non seulement le mérite d'en dresser un portrait propre au monde de la Renaissance, mais aussi l'audace de soutenir que ce monde est plus que tout autre caractérisé par l'imposture et par les moyens mis en place pour que ses coupables soient démasqués. Car sans révélation, pas d'imposteur, ce qui pose d'emblée la double question de l'étalon identitaire utilisé pour juger ces derniers et des pouvoirs capables de prendre ces décisions. Pour Valentin Groebner, suivant en cela le paradigme des institutions disciplinaires développé par Michel Foucault, ce furent les bureaucraties gouvernementales qui prirent l'initiative d'imposer le port de papiers d'identité au xve siècle, créant par là même le besoin d'échapper à ce contrôle croissant1. Les stratégies mises en place pour ce faire créèrent une culture de la falsification à grande échelle, affectant autant les personnes que les documents et autres artefacts destinés à étayer les voiles opaques de la dissimulation. Pour d'autres historiens influencés, entre autres, par Stephen Greenblatt2, l'imposture est une dimension nécessaire de la construction de soi, le soi étant une entité toujours à cheval entre contexte formateur et artifice.

M. Eliav-Feldon prend en compte ces courants historiographiques mais en rejette les conclusions, ou tout au moins les complique. Déployant un éventail de contingences propres à l'Europe des premiers temps modernes, elle présente une conjoncture où leur mise en réseau – mobilité des personnes (ascension sociale, voyages, commerce, exil, émigration), circulation des idées (imprimerie), élargissement du savoir, éclatement du christianisme (Réforme et Contre-Réforme), découverte du Nouveau Monde – provoqua une crise de la capacité à reconnaître ce que sont les choses et les gens. Les catégories habituelles de référence ne suffisant plus à l'identification, il se produisit une crise des sens, laquelle ouvrit un abîme entre l'être et le paraître. L'approche anthropologique postmoderne, telle celle de Jean Baudrillard, met en évidence la dimension simulatrice de toute représentation, ellemême simulacre simulant d'autres simulacres. M. Eliav-Feldon, pour sa part, implique qu'elle traite d'une culture où l'on attendait de l'apparence et de la représentation qu'elles entretinssent, quel que soit leur degré de véracité, un rapport pragmatique avec une réalité première, un soi doté d'une existence a priori. Ainsi, Nicolas Machiavel recommande au prince de dissimuler ses pensées intimes, tandis que Paracelse, curieusement ignoré de l'auteure, considère que le corps humain est signé de façon à permettre de déchiffrer les secrets de l'homme intérieur.

L'observatoire que lui fournit son riche dossier empirique permet à l'auteure de discerner une généralisation, à la Renaissance, du sentiment que la pratique d'assumer une identité autre que la sienne propre était répandue. Cette prise de conscience d'une telle imposture bloquant l'accès aux secrets d'un soi vrai plongea l'Europe prémoderne dans une peur profonde des réalités cachées et des mondes clandestins qu'elles étaient censées receler. Membres de minorités religieuses et de groupes ésotériques, sorcières et sorciers, étrangers, criminels de tout acabit, tous sont perçus comme des conspirateurs œuvrant à la manipulation de l'univers sous le masque d'identités mensongères et dissimulatrices. M. Eliav-Feldon en conclut que les autorités menèrent leurs croisades contre l'imposture poussées par un désir obsessif de transparence et de visibilité. L'Église post-tridentine, les clergés protestants et les États européens s'attaquèrent à l'opacité dont s'entouraient les individus et non à leurs libertés individuelles. Pour ce faire, ils rédigèrent et...

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