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  • Le collectif Arnait Video Productions et le cinéma engagé des femmes inuits :Guérison communautaire et mémoire culturelle
  • Karine Bertrand

De manière analogue à celle des Premières Nations1 situées plus au Sud, l'histoire de la colonisation des Inuit est caractérisée par la décimation des populations par les maladies infectieuses, l'assimilation linguistique et religieuse ainsi que par un génocide culturel récemment reconnu par les autorités canadiennes, suite à la publication d'un rapport/enquête (Commission Vérité et Réconciliation, 2015) visant à sensibiliser la population eu égard aux sévices subis dans les pensionnats autochtones pendant plus de 70 ans. De même, l'influence marquée de la colonisation sur la structure familiale et sur les rapports hommes-femmes, à travers l'imposition d'un système patriarcal valorisant le domaine masculin au détriment de la femme, contribua au démentèlement d'un mode de pensée où le genre/sexe variait selon les normes sociales. Alors que la reconnaissance formelle des torts commis envers les Premiers Peuples se veut une première étape vers une réconciliation entre ces derniers et la société canadienne, les communautés s'engagent de leur côté dans un long processus de guérison, utilisant pour ce faire des outils empruntés à la fois à la tradition (savoir ancestral, oralité, spiritualité, rituels, langage) et à la modernité (thérapies, engagement artistique, médiums contemporains). Se situant au coeur de ces démarches de réappropriation de leur culture, les femmes inuits travaillent bien souvent de l'intérieur pour retisser les liens intergénérationnels et familiaux, entre autres en transmettant aux plus jeunes générations des enseignements traditionnels et des leçons de vie adaptés au contexte contemporain. [End Page 36]

Parmi les outils utilisés par les Autochtones pour communiquer leur savoir et cautériser les plaies d'une tentative d'assimilation dont les effets se font encore ressentir, le cinéma se présente comme un outil idéal du transfert de l'oralité, jouant un rôle analogue à celui du chaman/conteur inuit, c'est-à-dire un rôle de transmetteur, de guérisseur, de médiateur et de catalyseur. Ce rôle du cinéaste-chaman est d'ailleurs attribué à Zacharias Kunuk (Bertrand, Le cinéma des Premières Nations) qui sera le premier cinéaste à approfondir le sens de l'autoreprésentation autochtone « en transportant l'art millénaire de la tradition orale au cinéma, en utilisant les techniques propres au langage cinématographique afin de transposer à l'écran la magie instillée par la performance du chaman (magicien, guérisseur) et en filmant l'invisible, i.e. en filmant les relations de ce peuple avec les ancêtres décédés ainsi qu'avec les esprits tutélaires » (241-42).

Depuis un peu plus de trois décennies, les cinéastes inuits utilisent ainsi la vidéographie comme un outil politique et social qui participe à la réappropriation d'une culture traditionnelle ainsi qu'à l'ancrage de cette dernière dans la modernité. L'autochtonisation2 du médium par les Inuits et la remédiation de la tradition orale à l'écran agissent comme autant de moyens favorisant la réconciliation intergénérationnelle, la guérison individuelle et collective et la transmission d'un savoir-être et d'un savoir-faire3 millénaires à l'intérieur comme à l'extérieur des communautés. À cet égard, l'auteure Michelle Raheja, dans son ouvrage intitulé Reservation Reelism (2010) explique comment le style de production inuit et communautaire employé par Zacharias Kunuk (from Inuk point of view) assure la continuité des langages et des cultures tout en permettant au peuple inuit « d'exprimer leur réalités et défis avec leurs propres voix » (202). Dans la même veine, selon le cinéaste de Pond Inlet John Houston, l'utilisation du cinéma par différentes générations permet un rapprochement entre les ainés et les jeunes qui, voyant les images de leur culture traditionnelle à l'écran, sont plus enclins à dialoguer par la suite avec leurs ain...

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