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  • De la fiction et de la question du transnational chez Albert Camus
  • Laura Klein

Albert Camus: fiction et trans-nation?

Vers la fin de sa vie, dans ses écrits journalistiques (recueillis dans Actuelles III) et son roman Le premier homme, Albert Camus appelle de ses voeux un rêve de trans-culturalité et d’hybridité dans une Algérie dévastée par la guerre d’indépendance. Il s’agit d’une “Algérie de la justice” (Camus, Essais IV 368) dans les textes politiques, tandis que dans le roman Camus imagine une Algérie fictive, un pays à la lisière d’une frontière méditerranéenne reconfigurant le paysage géographique. Ces textes sont cruciaux pour comprendre son rapport au politique avant sa mort, et ils nous permettront d’intervenir dans le débat engagé par Conor Cruise O’Brien et Edward Said sur le colonialisme de Camus. L’étude suivante se propose de démontrer que l’Algérie prospective de Camus découle tout particulièrement de la remise en question des catégories culturelles, ethniques et nationales qui sous-tendaient les discours coloniaux du vivant de l’auteur.

Dans le contexte de l’exégèse de l’oeuvre de Camus, la critique d’Edward Said se distingue dans un domaine d’études inauguré dans les années 1970 par Conor Cruise O’Brien: les études postcoloniales camusiennes. L’empreinte laissée par Said sur la réception de Camus dans la postcolonie est indélébile. Selon lui Camus serait l’un des écrivains emblématiques sur la question de la relation entre la culture et l’empire. Le portrait de Camus en tant que “colon,” “une figure coloniale tardive,”1 allait désormais remplacer le Camus—écrivain de l’absurde (J.-P. Sartre dans les années 40). Faisant référence à La Femme adultère, Le Renégat et L’Etranger, Said insiste sur l’idée qu’Albert Camus a perpétué une tradition de pensée et d’entreprise coloniale en Algérie, celle de “to represent, inhabit, and possess the territory itself—at exactly the time that the British were leaving India” [End Page 209] (Culture 176). Le but critique de Said est de révéler chez Camus le mécanisme de constitution d’une géographie impériale et d’un désir de souveraineté sur les Algériens colonisés.

Pourtant la littérature n’est pas le seul domaine d’analyse chez Said, bien que ce soit la colonisation dans et par la littérature qu’il vise principalement. Dans le même livre Culture and Imperialism, Said cite des essais publiés en 1958, en pleine guerre d’Algérie, où Camus s’oppose ouvertement à l’idée d’indépendance nationale de l’Algérie et défend le projet d’une confédération française qui englobe l’Algérie (Essais IV 388–89). Alors qu’il étiquette Camus de colon, Said occulte toutefois les conjectures de la publication de ces textes, et, ce faisant, il néglige une partie considérable du développement de la pensée et de l’activité camusienne à l’égard de son pays.2 Nous proposerons de nuancer la perspective dichotomique de Said à la lumière des chroniques journalistiques et du roman posthume.

Un silence incomplet—Chroniques algériennes (1958)

En 1958 une question préoccupe le milieu intellectuel français: pourquoi Camus prend-il la décision de se taire subitement sur la question algérienne, une question politique qui le concerne directement, et sur laquelle il n’a eu de cesse de manifester sa prise de position depuis 1939? En pleine guerre d’indépendance, les débats politiques en Algérie sont nettement polarisés: une faction affirme la politique d’Etat qui considère l’Algérie comme étant partie intégrante de la France et qui tient à garder la mainmise sur ce territoire, alors qu’une autre faction soutient le FLN et l’indépendance. Dans ces circonstances, Camus refuse de se rallier à l’une ou l’autre de ces positions:

J’ai décidé de me taire en...

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