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  • Représentations muséales du corps combattant de 14–18. L’Australian War Memorial de Canberra au prisme de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne by Romain FATHI
  • Antoine Prost
Romain FATHI. – Représentations muséales du corps combattant de 14–18. L’Australian War Memorial de Canberra au prisme de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, Paris, L’Harmattan, 2013, 204pages.

Le titre de cet alerte petit livre en résume très exactement le propos. Il ne s’agit pas vraiment d’une comparaison entre l’Australian War Memorial (AWM) de Canberra et l’Historial de Péronne car ce dernier, ouvert en 1992, ne peut avoir la profondeur historique du premier, ouvert en 1941. Cependant, la muséographie originale de l’Historial, son parti historien de ne pas représenter les soldats, de les évoquer seulement en plaçant uniformes et objets de proximité dans des fosses horizontales, encastrées en creux dans le sol, la place centrale donnée à la série Der Krieg d’Otto Dix, font particulièrement bien ressortir, par contraste, la volonté d’héroïsation de l’AWM. Aux soldats morts des trois grandes nations belligérantes (l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni), dont l’Historial ne donne à voir que des traces, des objets à la fois abandonnés et recueillis, s’oppose la figure virile du digger debout, érigé en symbole identitaire d’une nation nouvelle.

L’intérêt du livre est de ne pas se limiter à cette opposition trop évidente mais, d’une part, de la démontrer par une analyse fine de plusieurs dispositifs d’exposition, d’autre part, d’en explorer la genèse en retraçant l’histoire de ces dispositifs. La guerre que commémore l’AWM s’écarte en toute connaissance de cause de la guerre réelle, pour rester compatible avec un imaginaire fait de combats à la baïonnette et d’affrontements au grand soleil de la bataille. Le diorama censé représenter la « charge » de cavalerie de Magdhaba en 1916, par exemple, est en grande partie une fiction : les light horsemen australiens n’étaient pas formés à la charge ; tenue à la main, la baïonnette est trop courte pour blesser ; on ne peut tirer au galop en tenant son fusil d’une main et les rênes de l’autre, et seuls quelques cavaliers sont parvenus [End Page 195] jusqu’à la ligne turque. Le diorama érige en fait d’armes héroïque un combat plus modeste. Même les représentations des souffrances des soldats sont en quelque sorte aseptisées. Voici, par exemple, un diorama représentant un brancardier : l’homme est assis, accablé, la tête entre les mains, dans un univers de boue, mais il n’y a rien qui évoque le combat et la mort, pas de blessé, pas de brancard. Et d’ailleurs, pour-quoi faut-il que ce soit un brancardier, si ce n’est parce qu’un digger ne s’abandonne pas, ne se décourage pas ?

L’exemple le plus convaincant est un sujet de sculpture pour lequel Romain Fathi peut comparer un plâtre de 1938, une statue de 1941, tous deux nommés The man with the donkey, et une statue de 1988 placée devant l’AWM, aujourd’hui baptisée Simpson and his donkey. Il s’agit d’un Anglais qui a déserté en 1910 et s’est enrôlé dans l’armée australienne sous un autre nom. Brancardier, il aurait sauvé des centaines de blessés en les transportant sur son âne avant d’être tué à Gallipoli moins d’un mois après le débarquement. La légende a prospéré au point qu’un billet de banque présente son image. C’est devenu une figure de l’identité nationale. Le plâtre représentait un blessé évanoui, le bras retenu par un bandeau, soutenu par Simpson ; il mettait l’accent sur la solidarité, le secours chrétien du blessé : Simpson était une sorte de bon Samaritain. Cette représentation fut refusée ; on souhaitait un blessé moins sérieusement touché, qui apparaisse clairement comme...

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