L’aéronautique. Salariés et patrons d’une industrie française, 1928–1950 by Herrick CHAPMAN (review)

Il faut remercier celles et ceux qui ont contribué à la traduction française de cet ouvrage américain salué lors de sa parution en 1990, même si son titre français donne peut-être une image plus statique et plus restreinte de la scène examinée, quand le titre original soulignait deux dynamiques majeures mises en lumière par l’auteur, l’émergence des forces que sont la puissance d’État et le communisme ouvrier dans l’organisation de l’industrie aéronautique ⁸. Ancré dans l’économique et le social, il soulignait la dimension politique de ces mutations.

De façon délibérée, Herrick Chapman choisit une période qui se démarque des bornes de l’histoire politique et lui donne une cohérence, par-delà les ruptures politiques et guerrières. Il ne s’agit pas, en effet, de voir comment le monde de l’aéronautique traverse les bouleversements du temps, mais comment ceux-ci contribuent, par-delà leurs aspects contradictoires, à façonner la grande mutation examinée. Pour cet examen, l’auteur s’installe dans une branche industrielle où il peut examiner conjointement les produits, leurs usages et les marchés auxquels ils correspondent, les techniques, professions et méthodes de travail, le tissu des entreprises ainsi que des pratiques et visées patronales, les groupes sociaux de travailleurs et leurs représentations syndicales et politiques. L’aéronautique, à peine constituée lors de la Première Guerre mondiale, est alors en expansion rapide. Surtout, explique Herrick Chapman, elle devient hégémonique au cours de cette période, plus importante que l’automobile comme modèle national, industriel et politique. L’affirmation suppose un déplacement rafraîchissant par rapport à l’historiographie française.

Prises comme des moments structurants, les séquences nationales et internationales rythment l’ouvrage et offrent des mises au point nettes de portée souvent générale. La première période court de 1928, année de création du ministère de l’Air, à 1936. Ce ministère, expression d’une volonté politique de constituer une force militaire et commerciale, tente d’œuvrer à une structuration de la branche et à sa dynamisation. Les moyens mis en œuvre sont trop ténus pour être réellement efficaces jusqu’à l’arrivée en 1933 de Pierre Cot qui mène une action de concentration industrielle et commerciale. Dans le même temps, le militantisme syndical se redessine, en atténuant une idéologie antimilitaire et hostile à l’État qui le maintenait dans une situation minoritaire. Chez des ouvriers qui sont pour la plupart dotés de solides traditions de métier et qui sont restés sensibles au paternalisme de leurs patrons, Herrick Chapman montre que l’attrait syndical ne va pas de soi, tout au moins jusqu’à une transformation des esprits après 1933. En 1936, le nouveau syndicalisme mêle patriotisme, antifascisme et radicalité de gauche. Il lui reste à sortir de son isolement. On trouve ici un parcours de fabrication du communisme français, auquel font écho les divers cas étudiés par Julian Mischi ⁹.

Dans les grèves du printemps 1936, les ouvriers de cette branche sont en pointe. Précoces et déterminés, soutenus au gouvernement, ils obtiennent beaucoup en salaires, conditions de travail et formes de représentation. Une convention collective de la branche est mise en place. Ouvriers et techniciens se rapprochent. La CGT prospère et les communistes se renforcent en son sein. Parallèlement, une nationalisation par participations majoritaires dans l’industrie aéronautique permet au ministère de prendre le contrôle de la branche sans faire fuir l’encadrement et les directions. Le secteur privé, de son côté, crée une union syndicale indépendante du patronat de la métallurgie afin de négocier en toute autonomie avec l...