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  • Hallali pour un chasseur by Jean-François Samlong
  • Emmanuel Bruno Jean-François
Samlong, Jean-François. Hallali pour un chasseur. Paris: Gallimard, 2015. isbn 9782070149865. 304p.

Sélectionné pour la rentrée littéraire Gallimard 2015, le douzième roman de Jean-François Samlong s’organise en deux parties (“À marée basse” et “À marée haute”) et nous livre un récit qui, suivant le mouvement itératif des vagues et le passage des marées, met en scène la résurgence du passé dans le présent. L’histoire y est notamment celle de la légende et de la folie, du réel et du surnaturel, de la mémoire et de la violence, du marronnage et de la chasse.

“Si au cours de son existence, on ne se raconte pas au moins une fois, on aura vécu pour rien” (20). Or, c’est en cherchant effectivement à se raconter que Babel Mussard, cet homme d’une soixantaine d’années, issu d’une vieille famille réunionnaise, confie à Élise Pajot — jeune étudiante de sociologie en quête de “vérités vivantes” (21) — son histoire personnelle: un récit tragique qui emprunte aux contours des mémoires diverses et de la géographie volcanique de l’île de La Réunion leurs traits les plus saisissants. Quelques années plus tôt, soit en 1982, cet architecte — qui n’est plus aujourd’hui qu’un “fou de la plage” (17), isolé et honni, mis au ban de la société et refoulé “à la lisière du bois qui abrite la plage du vent” (17) — entreprend, en compagnie de Malika, Ricky, Manetti et Focheux, une chasse des plus [End Page 232] périlleuses dans les hauteurs de l’île: celle de la papangue géante, un oiseau rapace et légendaire. Relatant, à travers cette expédition, les mythes, les croyances et le destin de l’ancienne colonie française et esclavagiste, où l’éclatement de l’espace et du temps exprime le présent d’une île hantée par les spectres du passé, le narrateur révèle qu’au-delà des sables, dans les entrailles d’un pays de brouillard, “un rideau de brume et de lumière opaque” (188) abrite un monde étrange et inconnu. Des cirques de Salazie, Mafate et Cilaos, des passages escarpés, de l’odeur du soufre sur les anciennes laves, entre le piton Rouge et le piton des Neiges, s’élève en effet le pic de la Sorcière, au cœur même du pays de Kalla: lieu maudit où niche la papangue insaisissable, et que Babel cherche à conquérir, au prix de tous les sacrifices, dont sa relation avec Malika, ainsi que la vie même de ses compagnons.

Si, de fait, la complicité et la relation sentimentale entre Babel et Malika trouvent leurs origines dans les safaris et les parties de chasse en Afrique, elles seront éprouvées lors de cette traque insensée, menée hors saison, que la jeune femme elle-même propose à Babel de mener. Ayant recueilli des témoignages, des textes, dessins et caricatures qui prouvent que l’oiseau n’est pas un simple mythe, le chasseur chevronné, ambitieux et téméraire, y voit l’occasion inespérée de rajouter un nouveau trophée à son palmarès déjà héroïque. Qui plus est, derrière la légende de la papangue se cachent aussi bien le personnage mythique de l’ancienne esclave marronne et redoutée sorcière, Kalla (aussi connue à La Réunion sous le nom de Grand-mère Kal), que la mémoire coloniale de l’île, dont les douleurs historiques, les violences et les vengeances inabouties sont inscrites dans les contours sinueux de la terre volcanique. Ainsi, la chasse à la papangue se révèle graduellement synonyme d’une chasse à la sorcière maléfique, qui fut autrefois une princesse enlevée à sa famille et vendue à des négriers. Déracinée et réduite au statut d’esclave dans la colonie, elle avait fini par fuir dans les bois avant d’être capturée, violée...

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