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Reviewed by:
  • Ȏ nuit, Ȏ mes yeux by Ziadé, Lamia, and: Le Piano oriental by Zeina Abirached
  • Carla Calargé
Ziadé, Lamia. Ȏ nuit, Ȏ mes yeux. Paris: P.O.L éditeurs, 2015. isbn 9782818020678. 575p.
Abirached, Zeina. Le Piano oriental. Paris: Casterman, 2015. isbn 9782203092082. 212p.

Le 7 janvier 2016, alors qu’en France la presse s’indigne du fait qu’aucune femme ne figure parmi les trente noms sélectionnés pour le grand prix du Festival de la bande dessinée d’Angoulême, au Liban, deux illustratrices se partagent le Phénix de Littérature lors de la cérémonie de remise du prix.2 Les membres du prestigieux jury — composé entre autres d’Amin Maalouf, Jabbour Douaihy et Vénus Khoury-Ghata — qui ont annoncé leur décision le 31 octobre 2015 ont décidé en effet de récompenser, pour la première fois depuis la création de ce prix, non pas un mais deux romans graphiques parus à la rentrée: Ȏ nuit, Ȏ mes yeux de Lamia Ziadé3 et Le Piano oriental de Zeina Abirached. De sujets et de styles différents, ces deux œuvres se [End Page 209] complètent et se répondent en ce qu’elles se penchent sur une période privilégiée du Proche-orient, celle où cette région n’était pas encore synonyme, dans l’imaginaire mondial, de violence, de terrorisme ou d’oppression féminine mais correspondait plutôt à des images en rapport avec la sensualité, la création artistique et la mobilité géographique.

Commentant les incroyables destins d’Oum Kalthoum et d’Abdelwahab qu’elle raconte dans son livre, Ziadé écrit: “La fille de l’imam et le fils du muezzin, les deux plus grandes figures de la musique arabe. Du divertissement profane, de l’audace païenne, du refrain idolâtre, des réjouissances impies. Cela laisse rêveur . . . Comment nous sommes-nous égarés en route?” (492). Pendant plus de la moitié du vingtième siècle, alors qu’il est mû par l’irrésistible élan créateur de la Nahda [la Renaissance arabe], le Proche-Orient se trouve en effet lancé sur une incroyable trajectoire de libération sociale, d’innovation artistique, d’émancipation féminine, de raffinement et de modernisation. Pourtant, ce passé si proche — il se termine en 1979 — semble aujourd’hui à jamais révolu, enfoui dans l’oubli, éradiqué des mémoires ou enseveli sous des tours construites en verre et en béton. Que s’est-il passé pour que ce monde si léger et insouciant bascule dans l’horreur et l’intolérance? Comment expliquer que les acquis de la Nahda se soient si vite perdus? Est-ce parce que la modernité n’a été que l’apanage d’une élite coupée du petit peuple comme l’expliquent certains? Est-ce à cause de l’avènement de la Révolution en Iran comme le clament d’autres? Ou encore est-ce parce que l’interventionnisme et les visées impérialistes des puissances occidentales ont étouffé toutes les velléités de démocratie et d’autonomie dans les pays arabes? Comme tout ce qui touche au Proche-Orient, la réponse n’est jamais unidimensionnelle et comprend une multitude d’intérêts et de facteurs internes, régionaux et internationaux. Mais, dans les histoires des deux romans graphiques, nous n’en sommes pas là et il fait encore très bon vivre dans la douceur des villes du Levant. Les guerres, la religion et la violence ne viendront que plus tard, à la fin des volumes.

Similaire dans sa forme à Bye Bye Babylone, le premier roman graphique de Ziadé, Ȏ nuit, Ȏ mes yeux se situe lui aussi à la frontière du genre. Mises à part quelques exceptions, le texte se compose d’histoires quasi indépendantes qui ra-content chacune la vie ou une tranche de vie de l’une des nombreuses célébrités de l’époque. C’est Ziadé qui assume la narration, laquelle comprend très peu de dialogues, de fréquents commentaires de la narratrice et aussi, parfois, la relation de souvenirs personnels ou familiaux. Les passages narratifs sont placés...

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