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Reviewed by:
  • Voix d’esclaves: Antilles, Guyane et Louisiane françaises, XVIIIe-XIXe siècles by Dominique Rogers
  • Isabelle Constant and Linsey Sainte-Claire
Rogers, Dominique. Voix d’esclaves: Antilles, Guyane et Louisiane françaises, XVIIIe-XIXe siècles. Paris: Karthala, 2015. isbn 9782811114053. 192p.

“Il n’y a pas de sources!” “Les esclaves ne savent pas écrire!” (7). Telles sont les affirmations qui clôturent le premier paragraphe de l’introduction de Voix d’esclaves. Ce sont ces mêmes affirmations que le recueil dirigé par Dominique Rogers vise à démystifier.

Découlant d’un projet plus large mené de mars 2008 à juillet 2010 par un petit groupe de chercheurs spécialistes des sociétés esclavagistes des mondes atlantiques et méditerranéens, cette anthologie découvre les voix d’esclaves des territoires de la Caraïbe française (Martinique, Guadeloupe, Louisiane, partie française de Saint-Domingue et Guyane) du dix-huitième au dix-neuvième siècle sous un angle original très peu exploité dans le domaine des études sur l’esclavage jusqu’à présent: celui des archives judiciaires et administratives.

Rogers suspecte en effet que les perspectives adoptées par l’historiographie de l’esclavage, ainsi que les contradictions présentées par maintes études sur le monde des marrons, sont à l’origine des croyances selon lesquelles il n’existerait, dans les colonies françaises, aucune trace écrite émanant des esclaves eux-mêmes pouvant rendre compte de manière adéquate de leur quotidien et de leur imaginaire.

Adoptant une optique légale, soutenue par des pièces judiciaires authentiques telles que des interrogatoires de police et des dépositions, Dominique Rogers et ses collaborateurs introduisent dans le domaine de l’histoire caribéenne des sources primaires d’une importance capitale, qui démontrent que l’esclave sans voix et “bien meuble,” surgissant constamment dans les discours critiques, avait en réalité une véritable présence juridique et vocale dans les colonies. Ils offrent par ailleurs la possibilité au lectorat de pénétrer, d’observer et d’évaluer le monde juridique colonial français dans toute sa diversité. [End Page 206]

Voix d’esclaves rassemble une quinzaine de pièces de procès, accompagnées d’éléments biographiques replaçant chaque affaire dans son contexte historique, socioculturel, linguistique et/ou politique. Une introduction concise précède chaque audition, qui se voit résumée et éclairée par des informations permettant de l’apprécier à sa juste valeur. Dominique Rogers et ses collègues attirent d’ailleurs fréquemment l’attention du lecteur — pour le meilleur ou pour le pire — sur ce qui fait du document en question une perle rare. Car en suscitant, avec raison, des perspectives de lectures ou des pistes de recherches à explorer, les chercheurs du recueil peuvent aussi dénaturer partiellement l’expérience spontanée de lecture du public en dévoilant prématurément le contenu des pièces de procès.

L’anthologie est agrémentée d’images en son milieu qui ne manquent pas de stimuler l’imagination du lecteur que la seule présence des mots ne rassasierait pas. On peut y voir, entre autres, un vêtement en corail appartenant certainement à un esclave, des esquisses en noir et blanc des forêts de Guyane et de la Martinique, des photographies en couleur du document authentique de l’interrogatoire de l’esclave Laurence (en septembre 1711) retranscrit dans le recueil ainsi qu’une carte géo-hydrographique du golfe du Mexique et des îles. Si cet apport visuel demeure le bienvenu et répond même à un désir souvent énoncé par le lectorat, on regrette qu’il fasse irruption sans préavis et qu’il soit, semble-t-il, organisé arbitrairement. Ces illustrations auraient peut-être un impact plus effectif si elles étaient directement placées avant ou à la suite des procès et zones géographiques qui les concernent.

Aux pièces de procès et aux photographies succède une annexe dans laquelle les règles de transcription adoptées par les chercheurs sont énoncées en profondeur. Suivent deux exemples d’interrogatoires déj...

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