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Reviewed by:
  • Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations by Bernard Lahire
  • Nicolas Dodier
Bernard Lahire
Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations
Paris, La Découverte, 2013, 173p.

Bernard Lahire a conçu cet ouvrage, comme il le rappelle en introduction, pour préciser le sens général de son travail, au-delà des développements théoriques qu’il a pu fournir en lien avec chacune de ses enquêtes empiriques et qui se trouvent, de ce fait, relativement dispersés. Lire ce livre aujourd’hui permet de faire le point sur un programme transversal qui a été formulé pour la première fois dans toute son ampleur dans L’homme pluriel1, et qui a démontré depuis lors, au travers de nombreux travaux, la variété et la richesse des questions qu’il pouvait contribuer à éclairer. Il apporte des précisions très utiles sur tel ou tel point du programme plutôt que des avancées théoriques véritablement innovantes par rapport à l’exposé de 1998. Une originalité, rappelonsle, du travail sociologique de B. Lahire est de montrer en quoi les dispositions propres à chaque individu sont le résultat, à chaque fois complexe et singulier, de « l’ensemble des espaces de façonnements sociaux (familial, scolaire, profession, culture, politique, religieux, sportif, etc.) par lesquels est passé l’individu en question » (p. 18). Le programme se veut « déterministe » au sens où, sans nier l’importance des choix ou des décisions, il cherche à expliquer ceux-ci et à montrer leur ancrage dans des dispositions individuelles qui sont elles-mêmes engendrées par des expériences socialisatrices antérieures que le sociologue s’attache à mettre en évidence. Il se veut sensible à la variété et à l’hétérogénéité de ces expériences socialisatrices, particulièrement dans des sociétés fortement différenciées, y compris les expériences propres à la petite enfance. En ce sens, ce programme de sociologie est « dispositionnaliste », « multi-déterministe » et conduit « à l’échelle individuelle ».

C’est notamment au travers d’une discussion serrée de certaines des théories contre lesquelles ce programme se construit que B. Lahire précise ou rappelle certains aspects centraux de sa stratégie. Il critique fermement les théories qui défendent l’hypothèse d’une montée de l’individualisme et signale, avec Norbert Elias, le rôle central des relations d’interdépendances dans la construction des individus. Il met en question le statut qu’Émile Durkheim réserve aux individus, que celuici voit davantage comme de simples lieux de réfraction des êtres collectifs que comme des objets d’investigation légitimes, et il critique la façon dont É. Durkheim en vient, dans un même mouvement, à personnifier les êtres collectifs. C’est en partie contre cette forme d’articulation individu/collectif que B. Lahire construit son « homo pluralis ». La discussion s’appuie sur une lecture attentive d’É. Durkheim, même si elle en offre une vision assez différente de la lecture plus pragmatiste inaugurée notamment par les travaux de Bruno Karsenti. Dans le prolongement de cette lecture critique, B. Lahire s’attaque à cette forme de routinisation du travail sociologique qui tend à ramener celui-ci à l’étude des collectifs et des groupes, pour ne considérer les individus que comme des représentants ou des exemples des phénomènes relatifs aux collectifs en question.

Le programme se construit également contre les deux erreurs opposées qui caractérisent trop souvent les travaux sur la socialisation : celle qui consiste, en se focalisant sur une socialisation secondaire spécifique, à sousestimer l’influence de socialisations antérieures (erreur typique de certains travaux interactionnistes) ; celle qui, au contraire, privilégiant les effets de la socialisation primaire, surestime les effets de transférabilité du système des dispositions acquises avec elle (erreur typique de Pierre Bourdieu dans sa conceptualisation de l’habitus). Les appuis du programme sont quant à eux trouvés, outre de nombreux travaux [End Page 830] récents sur les processus de socialisation, dans deux foyers de recherche : la sociolinguistique inspirée par William Labov, attentive à une exploration ouverte des variations interet...

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