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  • Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes by Paul Pasquali
  • Anaïs Albert
Paul Pasquali
Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes
Paris, Fayard, 2014, 459p.

Dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, Paul Pasquali enquête de manière originale sur les dispositifs d’« ouverture sociale » qui ont fleuri au sein des grandes écoles françaises dans les années 2000. Ces voies d’accès spécifiques pour les enfants des classes populaires ont pour but affiché de compenser la fermeture sociale de ces institutions prestigieuses. La question centrale de l’enquête est donc celle de la mobilité sociale et de ses effets sur les trajectoires biographiques improbables, au sens statistique, des bénéficiaires de ces dispositifs.

Le chercheur opère un double déplacement par rapport à la littérature existante. D’une part, il choisit un terrain provincial, pour se distancier d’un « régionalisme qui s’ignore » (p. 10) et qui fait privilégier aux sociologues l’étude de la capitale. L’auteur étudie une grande ville populaire en crise, qu’il baptise fictivement Carmont pour garantir l’anonymat des enquêtés et dans laquelle a été mise en place en 2002 une classe préparatoire aux grandes écoles (cpge) expérimentale, d’un an, réservée aux bacheliers issus d’une zone d’éducation prioritaire (zep). D’autre part, il s’éloigne des approches qui abordent la question de la stratification sociale d’un point de vue macrosocial en insistant largement sur la reproduction sociale et les inégalités. P. Pasquali fait, au contraire, le choix de la méthode ethnographique qui lui permet d’analyser « dans toute son épaisseur et sa diversité l’expérience vécue du déplacement social » (p. 13) et de comprendre, à travers la restitution de trajectoires biographiques, le « sens donné à leurs expériences par les personnes en situation de mobilité » (p. 11). Malgré son goût pour l’approche ethnographique, l’auteur refuse l’opposition artificielle des approches quantitatives et qualitatives et plaide pour une « ethnographie statistique », c’est-à-dire animée par le souci de la comparaison à l’échelle nationale, comme à celle de l’académie.

L’enquête proprement dite a duré cinq ans, croisant l’observation in situ dans la cpge et 82 entretiens, avec 28 élèves et 12 professeurs ou membres du personnel de direction. Le texte laisse une large place à la parole des enquêtés en reproduisant de longs extraits d’entretiens. Il dessine des portraits vivants de ces élèves confrontés, sur la scène scolaire, à un monde social très différent de leur univers d’origine. L’analyse met en regard les expériences vécues par ces migrants sociaux dans les institutions scolaires avec celles qu’ils connaissent sur la scène familiale, amicale et résidentielle. À la différence des boursiers des années 1960, internes dans les lycées d’élite et donc coupés très tôt de leur milieu d’origine, ces bénéficiaires de l’ouverture sociale résident en effet majoritairement chez leurs parents et dans leurs quartiers d’origine. L’approche holistique des enquêtés conduit l’auteur à formuler son hypothèse centrale, à savoir que les individus ne passent pas une fois pour toutes les frontières sociales, dans une ascension sans retour. Au contraire, ils les passent et les repassent en permanence, dans des allers-retours parfois quotidiens entre leur univers d’accueil et leur univers d’origine. En s’inspirant des travaux d’Abdelmalek Sayad sur la migration géographique, P. Pasquali s’attache alors à comprendre [End Page 802] ces élèves comme des « migrants sociaux » et à « penser leur expérience dans ses deux versants, c’est-à-dire à la fois comme une émigration et comme une immigration de classe » (p. 28).

La première étape de cette migration est l’entrée en cpge au lycée Coty, établissement prestigieux du centre-ville de Carmont, au passé glorieux et à la réputation sans égale. Pour des élèves venus de lyc...

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