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  • Le « desir de raconter quelque chose: »Entretien avec Isabelle Flükiger1
  • Michèle A. Schaal (bio)

Née en 1979 à Fribourg, Isabelle Flükiger est une auteure suisse romande vivant actuellement à Berne. Elle débute dans la littérature avec la publication d’une nouvelle en 2001 : « Oublis, » cinquième lauréate du Prix des jeunes écrivains francophones. Suivent quatre romans : Du ciel au ventre (2003), Se débattre encore (2004), L’espace vide du monstre (2007) et Best-seller (2011). Ce dernier a fait l’objet d’une traduction en allemand (2013) et connaît un franc succès dans le monde germanophone. Flükiger tient également un blog sur lequel elle publie régulièrement de courts récits. Enfin, elle explore d’autres formes d’art liées à son écriture comme l’enregistrement audio de certaines de ses nouvelles ainsi que la réalisation d’un film-photo, Ville fantôme (2007), et de bandes-annonces pour la sortie de Best-seller.

De par la nature explicite — violente et sexuelle — de son premier roman Du Ciel au Ventre, Flükiger fut perçue comme l’incarnation romande des écrivaines de « la vague érotico-branchée au féminin qu’ont illustré ces dernières années des Virginie Despentes ou Claire Legendre » (Bulliard). En effet, la narratrice anonyme discute du voyage qu’elle et son amie Antoinette comptent effectuer à Paris pour se prostituer de la manière suivante :

Je vais m’éclairer la chatte », je murmure, et ça me fait marrer [...] C’est comme un pèlerinage », je dis. [...] Peut-être qu’on est en train de réinventer le « comment réapprendre à penser » ?

- Par les organes génitaux ! », crie mon amie Antoinette d’une grande voix aiguë. Je vois ses seins s’agiter dans un grand soubresaut gaillard et je la trouve brusquement attirante, plaisante. A ricaner que j’ai bien trouvé mon amie de débauche. Mais ça ne change rien, étant donné que l’on pourrait être deux vulves et que l’effet serait le même, hein ? Et je me rengorge de l’énormité de la supercherie : « Eh Antoinette ! Tu réalises bien que nous sommes deux vulves et que notre cerveau n’intéresse personne ?

- Et eux ce sont des bites qui nous donnent de l’assurance. On est à égalité. Sauf que nous, on le sait, et eux croient qu’on l’ignore, ce qui rend le jeu bien marrant.

(17–18)

Dans cet extrait, l’on retrouve le style cru, direct qu’ont employé, entre autres écrivains françaises de la « nouvelle génération », Despentes dans Baisemoi et Legendre dans Viande (Grangeray). On y constate également l’appropriation d’un style de langue vulgaire, traditionnellement associé au [End Page 127] masculin. Enfin, l’extrait démontre que les jeunes femmes et auteures francophones expriment désormais une sexualité libre, dénuée de tabous. Toutefois, comme ses collègues françaises, Flükiger se livre ici, et dans tout le roman, à une critique de la manière dont la société contemporaine considère encore les femmes et leurs sexualités : ces dernières se voient encore souvent réduites à leurs parties génitales. De même, la narratrice exprime, auparavant, son dégoût d’une vie embourgeoisée, hétéronormée, qui, justement, ne permet toujours pas aux femmes d’exprimer une sexualité débridée (Schaal 316).

Hormis mon étude comparative consacrée à ses trois premiers romans (Schaal 303–23) ainsi que l’obtention du Prix Littéraire de la Société Centrale Canine en 2012 pour Best-seller, l’œuvre de Flükiger n’a pas encore percé le marché du livre français. Pourtant, comme le démontrent ses écrits et cet entretien, l’auteure aborde des thématiques actuelles et propose une esthétique ambitieuse, notamment via sa recherche formaliste et intermédielle, ainsi que via son exploration tant des genres littéraires que du genre (au sens de gender) de la langue française.

MS :

Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

IF :

J’ai toujours beaucoup lu, et je pense que le processus s’est fait de manière assez naturelle...

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