Nettoyer Montréal : les campagnes de moralité publique, 1940–1954 by Mathieu Lapointe (review)

Mathieu Lapointe est titulaire d’un doctorat en histoire obtenu à l’Université York et est actuellement chercheur invité à l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill. Spécialisé en histoire politique et intellectuelle du Québec et du Canada, Lapointe s’intéresse dans cet ouvrage aux campagnes de moralité publique qui ont eu cours à Montréal entre 1940 et 1954 et qui avaient pour but de contrer « la tolérance policière (et politique) du “vice commercialisé” (prostitution, jeux et paris illégaux) » (17). Plutôt méconnu en regard de l’historiographie, le thème des campagnes de moralité publique est ici abordé de manière à retracer la « genèse et l’évolution de ce mouvement, dans le contexte particulier de la société québécoise » (16), ce qui permet ainsi au lecteur de comprendre « comment la régulation morale peut à la fois être modelée par la dynamique politique d’une société et contribuer à transformer cette dernière » (23).

L’ouvrage – tiré de la thèse de doctorat de l’auteur – s’inscrit au carrefour des champs de l’histoire politique, sociale et culturelle. Basant sa recherche sur un corpus de sources composé d’études publiées, d’archives officielles (municipales, personnelles et institutionnelles) et de sources publiées (périodiques, imprimés, brochures), Lapointe organise son étude en partie à travers le cadre de la « régulation sociale », une théorie qui lui permet de comprendre les actions et les motivations derrière les campagnes moralistes. S’intéressant aux figures et aux regroupements qui ont mené de front les campagnes de moralité montréalaise, Lapointe réussit à combler une brèche dans l’historiographie en proposant une étude qui s’intéresse non pas aux individus qui ont subi les contrecoups de ces campagnes, mais plutôt aux hommes d’action qui les ont orchestrées. En ce sens, Lapointe démontre une excellente maîtrise des historiographies américaine, française et canadienne-anglaise en regard de la mouvance réformiste dans laquelle s’inscrivent justement les campagnes montréalaises des décennies 1940 et 1950.

L’étude de Lapointe propose également de nouvelles pistes de connaissances reliées à l’histoire de Montréal. Notamment, l’auteur illustre de manière éloquente que la tolérance policière et politique à l’égard du crime organisé, symbolisée entre autres par l’existence du quartier du Red Light, constitue une particularité à l’échelle continentale. Toutefois, Lapointe démontre également que les campagnes de moralité publique s’inscrivent dans un courant réformiste plus large qui balaie l’Occident au début du XXe siè cle. Mentionnons du même souffle que l’auteur propose une analyse approfondie des différents groupes et des différentes personnalités qui ont animé le mouvement moraliste montréalais, notamment les Jeunes Laurentiens, la Ligue de vigilance sociale, le Comité de moralité publique, le journal Le Devoir ainsi que les avocats Pacifique Plante et Jean Drapeau.

En ce qui concerne l’édition, force est d’admettre que Septentrion a produit un ouvrage de très grande qualité. Les lecteurs apprécieront notamment la qualité du matériel iconographique mis à l’honneur, lequel vient juxtaposer avec brio les analyses proposées par Mathieu Lapointe. Notamment, de nombreuses caricatures produites par Robert LaPalme (qui était le caricaturiste attitré du mouvement moraliste) ainsi que plusieurs photographies d’époque ont été reproduites dans les pages de l’ouvrage, lui conférant un intérêt d’autant plus substantiel. Ce corpus iconographique est notamment issu du matériel utilisé lors de l’exposition Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940–1960, présentée au Centre d’histoire de Montréal. Mentionnons également que l’ouvrage comporte de nombreuses orientations relatives à l’historiographie et à la méthodologie, un élément apprécié par les lecteurs plus assidus.

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