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  • La contrainte et les langues (portugais, italien, français, espagnol, anglais)
  • Hermes Salceda (bio) and Camille Bloomfield (bio)

Les textes écrits sous contrainte oulipienne soulèvent pour les traducteurs de vieilles questions sur les limites du traduisible et sur les frontières entre la traduction et l’adaptation. Nombre de textes oulipiens peuvent sembler intraduisibles tant il paraît à la fois impossible d’en préserver les contenus, si l’on décide de transposer la contrainte dans la langue d’arrivée, et inintéressant de les traduire sans respecter la contrainte1. De même qu’il présente dans la langue source l’aspect d’une prouesse, le texte sous contrainte oulipienne représente un défi stimulant pour les traducteurs qui produisent parfois des traductions mémorables, soit autant d’objets de réflexion théorique irremplaçables pour la traductologie.

Il est cependant étonnant que les traducteurs, à l’heure de proposer des versions des textes contraints, tendent à ne pas situer leur pratique en rapport à une théorie de la contrainte. Pourtant, c’est d’abord à une telle théorie, implicite ou explicite, que renvoie le choix de réaliser une traduction soumise elle aussi à une contrainte. [End Page 964]

En effet, tout traducteur, consciemment ou inconsciemment, au moment de commencer à écrire, fait le choix du lieu où il décide de placer la valeur poétique qu’il se propose de faire passer dans sa langue. Ainsi, traduire la contrainte implique que l’on place la valeur poétique de l’original davantage dans le principe d’écriture du texte que dans le résultat de sa mise en œuvre. Dès lors, dans les termes d’Henri Meschonnic : « La traduction n’est plus définie comme transport du texte de départ dans la littérature d’arrivée ou inversement transport du lecteur d’arrivée dans le texte de départ (double mouvement, qui repose sur le dualisme du sens et de la forme, qui caractérise empiriquement la plupart des traductions), mais comme travail dans la langue, décentrement, rapport interpoétique entre valeur et signification2 ».

Sur le plan théorique, cette décision situe la traduction dans le cadre de la pensée oulipienne de la potentialité, qui fait porter l’accent non tant sur la production de textes que sur la production de structures dotées de potentialité, qui ouvrent des possibles pour la langue, pour la fiction, pour le texte comme organisme structuralement complexe. Ainsi, traduire la contrainte c’est d’abord traduire sa potentialité dans une autre langue ; c’est prendre en compte la dialectique des rapports de la contrainte avec la langue sur laquelle elle agit. Or, rester pleinement cohérent avec cette forme de pensée n’est pas facile pour le traducteur qui parfois ne peut qu’adopter une posture naturalisante3 même s’il préfère, en général, amener l’étranger dans sa langue culture.

En vue de dégager les débats dans lesquels se trouvent saisies les traductions de textes contraints, nous proposons d’analyser cinq aspects qui sont autant de marqueurs susceptibles de distinguer ce type de traductions de celles des textes non contraints.

  1. 1. Une des potentialités de la contrainte, en tant que « règle » arbitraire imposée au code linguistique, est l’exploration du langage ; le plus souvent elle entraîne un usage non normatif de la langue4 et se montre transgressive par rapport à la norme linguistique. La traduction doit s’efforcer de rendre cette exploration de la langue qui est constitutive de la poétique de l’écriture à contrainte. [End Page 965]

  2. 2. Nombre de contraintes se fondent sur des manipulations du signifiant (suppressions, ajouts, déplacements de lettres ou de syllabes…) et/ou des rapports signifiant/signifié pour exploiter certaines propriétés du langage (homonymie, synonymie, homophonie) et tendent de ce fait à faire proliférer des jeux de mots qui, loin de produire des effets ponctuels, constituent l’essence même du texte.

  3. 3. Cette attention aigüe aux aspects formels du langage et du texte favorise l’apparition de micro-structures, que l’on pourrait aussi nommer...

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