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  • L’Acadie et la Seconde Guerre mondiale
  • Julien Massicotte and Mélanie LeBlanc

LE COLLOQUE L’ACADIE DANS TOUS SES DÉFIS, qui s’est déroulé lors du Congrès mondial acadien 2014, a été l’occasion pour nous de poser les premiers jalons d’une réflexion interdisciplinaire concernant l’Acadie et la Seconde Guerre mondiale. Cette réflexion se veut interdisciplinaire au sens où nous chercherons à rendre compréhensible la réalité sociale de cette époque dans toute sa complexité, en mettant l’accent sur ses dimensions discursives, historiques et sociales, d’où la mobilisation de connaissances issues de la sociolinguistique critique, de l’histoire et de la sociologie. Le projet qui en a émergé cherche à comprendre comment le conflit s’est transposé dans l’imaginaire des Acadiens et comment leur perception a orienté les discours et les comportements collectifs. L’historiographie abonde en interprétations concernant les conséquences de cet événement sur le développement identitaire des Canadiens anglais et des Canadiens français. La Seconde Guerre mondiale a été le théâtre de bouleversements profonds, de chocs entre ces deux groupes, auxquels les Acadiens ne pouvaient être indifférents. Environ 23 000 Acadiens ont porté l’uniforme lors du second conflit mondial, la plupart enrôlés volontairement1. Des milliers d’autres ont participé aux activités et événements patriotiques. Cependant, en Acadie, l’analyse de cette participation se résume essentiellement à quelques ouvrages sommaires, à des monuments et à des listes de morts. Conséquemment, nous croyons qu’un examen approfondi de la période est nécessaire.

L’intérêt pour l’étude du sujet dépasse le simple cadre de la curiosité. L’analyse vise à intégrer les Acadiens à la réflexion sur les conséquences sociales, linguistiques et identitaires de la participation canadienne à ce conflit. Dans son état actuel, l’historiographie est muette à ce propos. Si les recherches disponibles démontrent sans équivoque une participation acadienne, la réflexion ne dépasse guère la simple constatation de celle-ci. Nous en savons peu sur leur état d’esprit, les raisons de leur participation, leurs réactions aux crises qui ont secoué le Canada à cette période ainsi que sur les divisions au sein de la communauté. Qu’est-ce qui poussait les Acadiens à participer à cette guerre? Comment ont-ils réagi à l’entrée en guerre du pays? Quelles formes de participation préconisaient-ils? Nous n’en savons pas plus sur les contraintes ou les avantages liés aux compétences linguistiques. Les Acadiens unilingues ont-ils été systématiquement relégués aux rangs inférieurs? Ceux qui étaient bilingues ont-ils réussi à intégrer de meilleures positions? Comment les ressources langagières (anglais, français, bilinguisme) ont-elles été distribuées, mises à profit? La langue a-t-elle même été un lieu de questionnement pendant ce temps de crise? L’identité canadienne n’a-t-elle pas plutôt supplanté l’identité acadienne, francophone? Un état des lieux s’impose, non seulement pour comprendre la participation acadienne à la guerre, mais pour saisir cette société en mouvement. L’histoire de l’Acadie des années 1930 et 1940 n’est guère plus [End Page 49] documentée. Très peu de travaux traitent de la période. L’étude de la Seconde Guerre mondiale permet de mieux saisir cette société en évolution.

Nous souhaitons aborder la Seconde Guerre mondiale en Acadie non simplement comme un phénomène d’ordre institutionnel et politique, mais d’abord et avant tout comme un événement de l’ordre de ce que l’anthropologue Marcel Mauss qualifiait de « phénomène social total ». La Seconde Guerre mondiale tire ses origines de l’extérieur de l’Acadie, comme du Canada, du reste. Gérard Bouchard soulignait récemment qu’à ses yeux la Seconde Guerre représente pour le Québec une incursion « dans la grande histoire », une histoire dont les Québécois n’ont toutefois pas été les auteurs2. On pourrait affirmer la même chose pour les Acadiens. Soulignons cependant que ce conflit, bien que d’origine externe, touche et...

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