In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Entre commémoration et festivité :l’interprétation conflictuelle du Grand Dérangement chez l’élite acadienne
  • Gilbert McLaughlin

EN JUILLET 1755, LA COURONNE BRITANNIQUE proclame officiellement l’ordre de la déportation des Acadiens. Durant plus de huit ans, les Acadiens seront pourchassés sur le territoire de l’Amérique du Nord. Ce n’est qu’après la levée de l’ordre d’expulsion dont ils font l’objet, en 1763, qu’une partie d’entre eux, déportés ou cachés dans le territoire, ont la permission de revenir s’établir dans les Maritimes. Toutefois, malgré la présence acadienne après la déportation, il n’y a plus d’Acadie au sens de communauté d’appartenance culturelle. Les Acadiens vivant dans les Maritimes après cet événement ne sont liés d’aucune façon à une mémoire collective, à des lieux mythiques ou à des récits fondateurs qui pourraient alimenter l’idée qu’ils forment une société1.

Il faudra près d’un siècle avant qu’une élite cléricale acadienne ne décide de solidifier le sentiment distinctif autour de la mémoire de 1755. Ce n’est que lors de la première Convention nationale acadienne de 1881 que les congressistes élèvent officiellement le Grand Dérangement au rang de mythe fondateur2 de la nation. L’utilisation du terme « Grand Dérangement » n’est pas inédite. L’auteur Ronnie-Gilles LeBlanc fait état de l’utilisation du mot « dérangement » dans une déposition qui remonte à quelques années après la guerre de Sept Ans. Dans cette déposition, six Acadiens originaires de Beaubassin utilisent le terme3 en faisant allusion au « dérangement des guerres » ou au « dérangement produit par la guerre »4. L’auteur souligne également que ce n’est qu’en 1861, dans un imprimé d’un journal de voyage de l’abbé A. Ferland d’abord écrit en 1836, qui relate des événements survenus un quart de siècle plus tôt, que l’on peut lire ce qui semble être la première utilisation du terme « Grand Dérangement5 ». Le terme est par la suite repris et il est utilisé par des acteurs influents en Acadie à la convention de 1881. [End Page 27]

Le sens accordé au terme « Grand Dérangement », qui se trouve dès lors au centre de l’idéologie nationale acadienne, subira par la suite de nombreuses réinterprétations dans les discours politiques, transformé « d’une part, par la résistance opposée par la mémoire populaire [culture savante et culture populaire] et, d’autre part, par les impératifs de la réalité quotidienne6 ». Au cœur du rapport mémoriel en Acadie, il semble alors intéressant de retracer l’utilisation politique du mythe de fondation. Dans le présent texte, nous cherchons ainsi à retracer les interprétations historiques du mythe du Grand Dérangement7 dans le discours politique de l’élite8 acadienne entre 1881 et 2005 en analysant ses nombreuses utilisations dans la politique acadienne, principalement au Nouveau-Brunswick, et à comprendre quelles ont été les conciliations et les impasses mémorielles liées à la signification accordée au mythe du Grand Dérangement. Soulignons qu’il ne s’agit pas ici d’une recherche exhaustive. L’objectif principal est de proposer une note de recherche permettant de dresser l’état des connaissances concernant le sens accordé à cet événement.

Bien que de nombreuses recherches se soient intéressées à la figure mythique d’Évangeline9 ou au mythe des origines – l’arrivée en 160410 –, peu de recherches ont été effectuées sur le Grand Dérangement en tant que mythe de fondation de l’Acadie. Bien sûr, le thème historique de la déportation de 1755 est largement exploré11, mais l’analyse sociologique des représentations dans le discours politique ou populaire est peu présente. On note néanmoins les contributions de Julien Massicotte, de Chantal Richard et de Robert Viau, qui ont, de façons et à des périodes différentes, touché le sujet...

pdf

Share