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Reviewed by:
  • La grande étrangère. À propos de littérature by Michel Foucault
  • Christian Jouhaud
Michel Foucault
La grande étrangère. À propos de littérature
éd. par P. Artières et al., Paris, Éd. de l’EHESS, [2013] 2015, 224 p.

La collection Audiographie publie des transcriptions de prestations orales. En l’occurrence, dans ce volume consacré à des interventions de Michel Foucault « à propos de littérature », il s’agit de deux émissions radiophoniques sur les « langages de la folie » (janv. 1963), de deux conférences données à Bruxelles sur « littérature et langage » (déc. 1964) et d’un texte sur le marquis de Sade au statut plus incertain, composé à partir de cours donnés à l’université de Buffalo (mars 1970). Ce précieux petit livre est accompagné d’une présentation et de brèves introductions à chacun des trois ensembles qui le composent. Il se termine par quelques repères biographiques et, surtout, par une très utile bibliographie des travaux et interventions du philosophe sur la littérature.

Deux ans après la parution de L’histoire de la folie à l’âge classique, Foucault choisit dans les deux émissions de radio de traiter des liens du langage et de la folie, « limite forestière de notre littérature » (p. 55), en un double mouvement qui le conduit d’abord « du langage commençant vers la littérature » puis vers « le langage littéraire qui est aux confins même de la folie ». Le propos est entrecoupé de lectures de copieux extraits d’œuvres dont le choix et la mise en série sont intéressants, mais qui ne donnent lieu qu’à de rapides et assez superficiels commentaires.

Beaucoup plus importantes sont les deux conférences tenues à Bruxelles, car elles ouvrent une réflexion sur la possible articulation (sur le fait d’abord que cette articulation est possible) entre l’intransitivité de la littérature et son historicité. Partant du constat qu’il n’est « pas sûr que la littérature elle-même soit aussi ancienne qu’on a l’habitude de le dire » (p. 76), Foucault amorce un questionnement rétrospectif sur l’histoire de ce qu’on appelle littérature. Le plus important alors n’est pas d’établir un récit qui prendrait en charge cette histoire, mais de proposer un cadre théorique susceptible de rendre intelligible la dynamique productrice de cette histoire. Cette mise en mouvement est pensée à partir d’un triangle langage-œuvre-littérature dont la littérature serait le sommet, « le sommet d’un triangle par lequel passe le rapport du langage à l’œuvre et de l’œuvre au langage » (p. 77). Ce rapport évolue dans le temps. Foucault l’envisage au XVIIe siècle, puis à la charnière du XVIIIe et du XIXe, enfin à un moment mallarméen à partir duquel la littérature s’ouvre à un présent car elle ne peut être séparée de la question « qu’estce que la littérature ? » Contre le mythe de l’ineffable, où s’indexerait la valeur littéraire, Foucault défend l’historicité de la fable, dont la littérature est l’horizon jamais atteint tout autant que l’idole. Une idole par la destruction de laquelle s’inaugure toute œuvre littéraire, dont le premier mouvement est de transgresser l’idéal de ce qui lui préexiste. Ainsi, « la littérature est cette espèce de double qui se promène devant l’œuvre » (p. 91).

Cette symbolisation du monde polyforme des signes par des actes d’écriture est au fond toujours absente de l’œuvre tournée vers elle, pourtant elle a bien une histoire : « la littérature a commencé le jour où s’est substitué à l’espace de la rhétorique ce qu’on pourrait appeler le volume du livre » (p. 102). Cette puissance symbolique et matérielle du livre, où « la littérature accomplit son être » – cet espace « où l’œuvre se donne le simulacre de la littérature » (p. 111) –, oriente toute prise en compte conséquente de l’historicité de la littérature, du moins dans la culture européenne. [End Page 553] Le livre, de « support...

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