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  • Les conservateurs britanniques dans la bataille des idées, 1929-1954. Ashridge College, premier think-tank conservateur by Clarisse Berthezène
  • Stefan Collini
    Translated by Christophe Réthoré
Clarisse Berthezène
Les conservateurs britanniques dans la bataille des idées, 1929-1954. Ashridge College, premier think-tank conservateur
Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2011, 334 p.

Traditionnellement peu prisée en France par l’historiographie dominante depuis (au moins) [End Page 536] Marc Bloch et Lucien Febvre, l’histoire politique jouit, en Grande-Bretagne, d’un grand prestige, notamment parce que, au cours du XXe siècle, elle a représenté un certain idéal de la recherche fondée sur les archives grâce auxquelles des événements particuliers pouvaient être reconstruits dans le détail. Depuis quelques décennies, le clivage entre les deux pays s’est atténué dans la pratique, mais les attitudes traditionnelles persistent. Aussi estil particulièrement encourageant de découvrir une monographie rédigée par une jeune historienne française sur l’histoire politique britannique, surtout lorsque ce travail démontre de façon impressionnante comment l’on peut combiner plusieurs formes sophistiquées de ce qu’on appelle la « nouvelle histoire politique », qui prend en compte notamment l’étude des intellectuels et de l’histoire intellectuelle.

Clarisse Berthezène s’intéresse tout particulièrement aux tentatives effectuées par le parti conservateur, durant l’entre-deux-guerres, pour lutter contre ce qu’il percevait comme une « hégémonie progressiste » culturelle et intellectuelle. L’Ashridge College a ainsi été choisi pour offrir, à partir de 1929, une formation intellectuelle à ceux qui devaient mettre en application la pensée conservatrice dans la vie publique nationale, laquelle, dans l’esprit des Tories, était dominée par une « intelligentsia de gauche ». Le rôle joué par Ashridge est analysé en détail dans les années 1930 et, de façon plus sommaire, après 1945, permettant ainsi d’appréhender ce qu’incarne l’« intellectuel britannique ».

L’auteure met au jour, à l’origine de la création de l’Ashridge College, la crainte des Tories de ne trouver aucun équivalent conservateur à la Société fabienne et, en conséquence, de voir la sphère des idées dominée par la gauche, faisant en cela partie d’une surestimation générale de l’influence des Fabiens. Selon elle, Ashridge était un « think tank [groupe de réflexion] avant la lettre », or les think tanks sont essentiellement des institutions qui organisent la recherche dans le cadre des politiques publiques. La vocation d’Ashridge était plus éducative : il s’agissait surtout de proposer des cours et, même si les fondateurs de l’institution étaient obnubilés par l’influence supposée des Fabiens, on peut établir un parallèle plus fidèle avec le Ruskin College, à Oxford, mis en place pour offrir de nouvelles opportunités d’enseignement aux syndicalistes. Signe de la ressemblance entre l’Ashridge et le Ruskin College, ces deux institutions devaient faire face à des débats et des conflits récurrents au sujet de l’équilibre à trouver entre l’enseignement désintéressé et la propagande de parti, une question qui n’est jamais le souci des think tanks stricto sensu.

Ceux qui ont fondé l’Ashridge College voulaient non seulement apporter de nouvelles formes d’expertise qui contribueraient à l’élaboration de politiques publiques, mais également contester ce qu’ils percevaient comme une hégémonie progressiste de la vie intellectuelle et culturelle en général. Ainsi, C. Berthezène cite une lettre écrite par Stanley Baldwin en 1936, dans laquelle il traite de l’importance de persuader le romancier middlebrow Charles Morgan d’écrire un livre populaire sur la monarchie. La publication d’un tel ouvrage, écrit Baldwin, constituerait « un moment important de la vie intellectuelle du pays ». Le fait qu’un Premier ministre s’intéresse à ce genre d’initiative signifie que, à l’époque, la vie politique pouvait parfois s’assimiler à un loisir. En même temps, il illustre une conception curieuse et quelque peu défensive de « la vie intellectuelle du pays », ainsi qu’une surestimation de l...

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