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Reviewed by:
  • Un regard qui te fracasse. Propos sur le théâtre et la mise en scène by Brigitte Haentjens
  • Mariel O’Neill-Karch
Brigitte Haentjens, Un regard qui te fracasse. Propos sur le théâtre et la mise en scène, Montréal, Boréal, 2014, 220 p. 39,95$

En 1984, j’ai vu jouer Brigitte Haentjens dans Strip, pièce violente et subversive, écrite en collaboration avec Catherine Caron et Sylvie Trudel, où trois femmes se dépouillent pour exposer leur corps à des spectateursvoyeurs. Dans Un regard qui te fracasse, Brigitte Haentjens s’expose de nouveau, cette fois à ses lecteurs, en soulignant à quel point ses mises en scène la révèlent « de biais, de façon détournée, à travers le corps des autres » et que le regard des spectateurs « se rapproche d’un regard interdit, à la fois désiré et honni ; le regard d’un inconnu sur ton corps nu, qui te fracasse ». Le corps est donc un des éléments majeurs de sa création. [End Page 119]

Brigitte Haentjens, française d’origine et de formation, venue, en 1975, passer un an au Canada et qui y est encore, a formé des alliances durables dans le milieu théâtral de la capitale avant de se creuser une place dans le roc de Sudbury, tant comme directrice artistique que comme auteure et comédienne. Depuis qu’elle a quitté la ville du nickel, elle s’est construit, pièce par pièce, une solide réputation de directrice artistique et de metteure en scène sur le plateau montréalais et de nouveau à Ottawa, au Centre national des arts.

Ce livre est né de dialogues, de vive voix et par courriel, entre Brigitte Haentjens et Mélanie Dumont qui a contribué, en tant que dramaturg, à plusieurs de ses mises en scène, dont Le 20 novembre de Lars Norén, Woyzeck de Georg Büchner et Richard III de Shakespeare, dans la magistrale traduction de Jean Marc Dalpé. Une éclairante préface explique ce processus : « Brigitte Haentjens traque sa relation à l’art dans ses moindres replis et manifestations. Qu’elle sonde son désir enfoui de mise en scène, ses exils successifs, sa réaction épidermique à l’autorité, sa définition du risque et de l’engagement, qu’elle fasse état des rencontres et des chocs esthétiques qui l’ont ébranlée, du lien profond qui l’unit à une œuvre, de sa fascination pour les corps, la metteure en scène engage son regard et sa sensibilité, demeurant fidèle à cette force et à cette conviction qui côtoient chez elle le doute et la vulnérabilité. »

Les chocs esthétiques se sont multipliés pour Brigitte Haentjens, mais pas avant son passage en enfer à la direction artistique de la Nouvelle Compagnie théâtrale, vouée au théâtre pour jeunes publics. Les conflits entre elle et le très conservateur conseil d’administration qui n’approuvait pas son choix de textes, jugés trop avant-gardistes, l’ont poussée à un départ fracassant : « Et j’en ai tiré de cinglantes leçons : les structures résistent férocement aux changements et demeurent toujours plus puissantes que les individus. » Démolie, sans argent, se rendant compte qu’elle n’était pas faite pour diriger une institution, elle va pourtant en créer une, quelques années plus tard, dédiée entièrement à la création : la compagnie Sibyllines dont la programmation « allait se modeler au fur et à mesure des projets, révélant vingt ans plus tard un paysage chatoyant, multiple, féminin, politique et contemporain ».

Brigitte Haentjens n’oublie pas le corps de l’interprète qui « a la possibilité d’atteindre des états extrêmes : brûlant, tendu, tordu, déformé, même martyrisé », se rapprochant ainsi de toiles hallucinantes de Francisco de Goya, de Francis Bacon ou de Lucien Freud. Ces corps subversifs peuplent toutes ses mises en scène, de celle du Chien de Jean Marc Dalpé à celle de Tout comme elle de Louise Dupré, en passant par deux de ses dramaturges fétiches : « Heiner Mûller et Bernard-Marie Koltès ont créé en...

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