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Reviewed by:
  • Faire l’amour. Shakespeare, Tolstoï et Kundera by Mylène Bouchard
  • Evgénia Timoshenkova
Mylène Bouchard, Faire l’amour. Shakespeare, Tolstoï et Kundera, Montréal, Nota bene, coll. Sillage, 2014, 153 p.

Le titre du présent ouvrage de Mylène Bouchard, écrivaine, éditrice et chercheure, Faire l’amour. Shakespeare, Tolstoï et Kundera, se veut accrocheur, sinon piquant et ne manque pas effectivement de susciter la curiosité du lecteur. C’est qu’au premier contact avec le livre on n’aperçoit pas nécessairement dans le titre les italiques qui signalent typographiquement le calembour polysémique caché dans l’expression “faire l’amour”. Comme l’explique l’introduction, le verbe “faire” est pris par l’auteure dans son sens figuré de “fabriquer”, “créer” ou encore “construire” l’amour.

Les quelques cent cinquante pages de cet ouvrage, rattaché dès la page titre au genre de l’« essai littéraire », sont richement émaillées de citations. Modèle oblige. Les pensées de Platon et Socrate, Schopenhauer et Kant, Sartre et de Beauvoir, Barthes et Kristeva—pour ne mentionner [End Page 111] que ceux-là—sont sans cesse convoquées par l’essayiste pour étayer et développer sa propre démarche réflexive, pour lui servir de points de départ ou de repoussoir. Mais ce sont les concepts du philosophe français contemporain Alain Badiou—dont la thèse centrale, aussi ambitieuse qu’épineuse, avance que « l’ontologie se confond avec les mathématiques »—qui inspirent, jalonnent et structurent l’ensemble du livre. Cela consiste à dégager du système philosophique badiousien des éléments précis de sa conception de l’amour entendue comme une « construction de vérité ». À cette grande vérité, l’on ne parvient qu’en suivant le processus sophistiqué composé de trois étapes : « le vide », comme point de départ, « l’événement amoureux » qui remplit le vide et « la fidélité », dernière opération de ce processus qui « attribue de la consistance à la vérité » et assure la longévité du sentiment amoureux.

Ce triple enjeu de la réflexion régi par les concepts empruntés à Alain Badiou impose à l’ouvrage la répartition en trois chapitres qui se veulent réciproquement complémentaires. La question d’amour (ce qu’est l’amour, comment aimer et ne pas aimer, comment « bien » aimer, « faire l’amour ou laisser faire l’amour », comment en être le contremaître…) n’est pas abordée « mécaniquement », mais par le biais de la littérature. C’est ainsi que l’illustration du « vide » est confiée à Roméo et Juliette de Shakespeare, celle de « l’événement » à Anne Karénine de Léon Tolstoï et celle de la « fidélité » à L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera.

Dans le premier chapitre consacré à Roméo et Juliette, œuvre associée « au vide et à l’identité », l’auteure cherche à comprendre si la tragédie shakespearienne met en scène « le véritable amour » ou « une vive allusion amoureuse ». Pour ce faire, elle interroge d’abord les visions d’amour des protagonistes : l’amour « comme totalité devant soi » de Roméo et l’amour « comme vérité devant soi » de Juliette. Incompatibles à première vue, ces deux conceptions de l’amour se rejoignent pour former « quelque chose de totalitaire dans la vérité ». En passant ensuite à l’analyse du mécanisme identitaire qui définit les jeunes amoureux, issus de souches aristocratiques, mais hostiles, Bouchard examine le rôle que joue dans la définition de soi « la dimension interlocutoire », à savoir les relations des protagonistes avec les autres. L’auteure se penche enfin sur la problématique de la précipitation du mariage en proposant une « lecture romantique » et une « lecture morale » de la situation. Dans le premier cas, la hâte de Roméo et Juliette à se marier s’explique par le « délire » et par l’« intempérance » propre à l’idylle amoureuse. Dans le deuxième, par la « raison » et par la « tempérance » du devoir, par la volonté rationnelle des amoureux de réconcilier leurs familles. Bouchard finit par déclarer que ce sont les gestes...

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