In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Le drôle de roman. L’œuvre du rire chez Marcel Aymé, Albert Cohen et Raymond Queneau by Mathieu Bélisle
  • Patrick Bergeron
Mathieu Bélisle, Le drôle de roman. L’œuvre du rire chez Marcel Aymé, Albert Cohen et Raymond Queneau, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. (Espace littéraire), 2010, 317 p., 43,95$

Enseignant de littérature au Collège Jean-de-Brébeuf et membre du comité de rédaction du magazine L’inconvénient, Mathieu Bélisle explique dans son « Avant-propos » que son livre est né d’une intuition de lecture survenue un jour qu’il écumait les rayons de la bibliothèque de l’Université McGill. L’examen de trois scènes de réjouissance dans La Jument verte de Marcel Aymé, Mangeclous d’Albert Cohen et Gueule de Pierre de Raymond Queneau lui a révélé l’expression de trois enjeux, qui deviendraient les trois principales parties de son livre.

Premier enjeu : la transposition romanesque des principes de la comédie. La première partie du Drôle de roman montre, en cinq chapitres, comment la comédie s’est portée « au secours du roman ». Bélisle s’intéresse moins aux techniques et à la typologie du comique qu’à son imaginaire et ses personnages. Ainsi, en une période (les années 1920 et 1930) où foisonnent les œuvres mettant en scène des individus problématiques—des « romans de la conscience » de Proust et Martin du Gard aux romans d’analyse (Chardonne, Arland) ou de tendance autobiographique (Colette, Jouhandeau)—, les « drôles de romans » faisaient intervenir des personnages transparents (c’est-à-dire dont l’intériorité se retrouvait extériorisée) qui, tout en semblant plus proches des personnages de la farce ou de la commedia dell’arte, n’en demeuraient pas moins « mis à mal » au fond d’eux-mêmes en raison des contradictions, errements et lubies qu’ils devaient affronter. Tout devient alors prétexte à la théâtralité et au spectacle comique. « Pantins », « parasites », « hommes sans qualités », les héros du drôle de roman ont « le destin mineur d’êtres informes et légers ».

Deuxième enjeu : la représentation de personnages participant pleinement, par le rire, à la vie de la communauté. Les scènes de réjouissance et d’hilarité abondent : mariages, fêtes, carnavals… La communauté, par ses valeurs, ses intérêts et ses interdits, compose l’ensemble structurant où prennent forme les initiatives individuelles avant de révéler leur caractère d’aventures collectives. Derrière les héros comiques se profile toujours la communauté des rieurs : « la valeur des personnages repose sur leur rassemblement », explique Bélisle. En quatre chapitres, il examine le personnage de « la foule rieuse », ses vertus festives de même que sa part sombre, sa violence, avec « le rire sacrificiel ».

Troisième et dernier enjeu : la présence d’éléments insolites ou merveilleux, réminiscences d’un monde enchanté. La proposition du drôle de roman ne repose pas sur la nostalgie d’enchantements disparus, mais sur la possibilité de donner à ceux-ci une nouvelle vie qui les prolonge et les réinvente. Pour décrire cette poétique « parasitaire », Bélisle recourt à l’image des « immenses fongus attachés à des arbres vénérables et qui, [End Page 108] par un jeu d’échanges, en ont absorbé toute la substance, ont pris sa place et conservé sa forme ». Quatre autres chapitres permettent alors à Bélisle de définir le rire comme « agent de dérèglement » et de situer le drôle de roman par rapport au sacré, au merveilleux et au surréalisme.

Le drôle de roman représente une contribution majeure à l’histoire du roman français de la première moitié du XXe siècle. Bélisle parvient, avec érudition, rigueur et clarté, à réhabiliter un corpus injustement sous-estimé. En une période où le mot d’ordre était l’inquiétude et non le rire, les « romans drôles » de Marcel Aymé, Albert Cohen et Raymond Queneau ont prouvé qu’il était possible d’aborder de grandes questions...

pdf

Share