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  • Écrire le temps. Les tableaux urbains de Louis Sébastien Mercier by Geneviève Boucher
  • Roland Le Huenen
Geneviève Boucher, Écrire le temps. Les tableaux urbains de Louis Sébastien Mercier, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. Espace littéraire, 2014, 270 p., 34,95$

Créateur d’une œuvre dramatique et critique abondante, ainsi que de la première uchronie, L’An 2440. Rêve s’il en fût jamais (1771), qui connut onze éditions du vivant de l’écrivain, journaliste fondateur des Annales patriotiques et littéraires de la France (1789–1793), Louis Sébastien Mercier (1740–1814) reste encore et surtout pour le lecteur du XXIe siècle l’auteur du Tableau de Paris (1781–1788, 12 vol.) et du Nouveau Paris (1798, 6 vol.), diptyque dont la ligne de partage est la Révolution et dont l’ambition était d’offrir un portrait physique et moral précis et complet de la capitale. Mercier, on l’oublie trop souvent, assuma un rôle fondateur dans la promotion et la représentation de la modernité urbaine. Bien avant Balzac, par le truchement de l’observation et d’une mise en texte documentaire mâtinée de fiction, l’auteur des deux Paris aurait pu prétendre [End Page 104] au titre d’historien des mœurs. La coexistence des deux ouvrages met en outre l’accent sur la nécessité de saisir l’actualité de la chose vue dans son historicité. À peine le dernier volume du Tableau de Paris venait-il de paraître qu’il était déjà périmé, emporté par l’ouragan de 1789. La société parisienne soudain n’était plus la même et demandait qu’on en prît une autre mesure, qu’un regard nouveau rendît compte de ses transformations. C’est dire l’importance que le temps, ou plus exactement la maîtrise du temps, présente dans la conception et l’élaboration de ces deux œuvres. Et c’est précisément à l’examen de cette composante que s’attache l’ouvrage de Geneviève Boucher dont le titre laisse anticiper l’orientation du parcours critique. Il s’agira pour l’auteure de s’interroger et de comprendre le lacis des différents imaginaires temporels qui traversent les représentations de Mercier, celui du progrès, comme celui du retour ou du cycle, qui viennent en complexifier et en problématiser le champ. Trois grands axes serviront ainsi à guider l’entreprise critique et à en délimiter les parties : « Faire revivre le passé », « Imaginer l’avenir », et « Écrire l’histoire du temps présent ».

« Faire revivre le passé » est le lieu d’une réflexion sur l’inscription de l’espace urbain dans l’Histoire. Quel que soit le désir de l’observateur de saisir le présent du lieu, il ne peut ignorer les marques de son passé qui, comme des couches géologiques, affleurent à la surface et s’imposent à son regard et à son savoir. Pour le critique, il s’agira alors de comprendre comment l’observateur urbain intègre à sa perception et à son écriture du présent les signes de ce passé. Muni du modèle physiognomonique, empruntant à la promenade son mode d’observation et de réflexion, le flâneur parisien interroge le visage de la capitale dont les rides lui offrent un moyen d’accès à son histoire, car c’est précisément le savoir historique archivé qui permet de déchiffrer sous la vision du présent les traces matérielles du passé, ainsi que l’illustre la déambulation au long du faubourg Saint-Antoine, évocateur de la Fronde. Mis en défaut, ce savoir laisse place à un travail de l’imaginaire aspirant à soustraire aux murs leurs secrets que les archives trop lisses de l’Histoire n’ont pas pris la peine de retenir, comme dans le cas de la Bastille ou du cimetière des Innocents. Pour Mercier, immanquablement l’évocation du passé renverrait à la fiction par le recours à « l’imaginaire de la spectralité », à un discours prêté aux morts et aux revenants qui reflète l’influence du...

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