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Reviewed by:
  • L’âme littéraire by Étienne Beaulieu
  • Gaëtan Brulotte
Étienne Beaulieu, L’âme littéraire, Montréal, Nota bene, coll. La ligne du risque, 2014, 210 p., 21,95$

Dans ce recueil d’essais personnel et résolument polémique, l’auteur tente de raviver le vieux mot âme en réveillant en lui quelque chose comme l’énergie ou la force d’exister. C’est d’emblée assez périlleux vu le sens [End Page 94] profondément religieux dont le mot est imprégné depuis des siècles. Pourquoi pas sujet et subjectivité ? Beaulieu se dit convaincu que la littérature est affaire d’âme et inversement que l’âme a trouvé dans la littérature sa forme même. Dans le prologue, il défend plus particulièrement le genre de l’essai comme une impertinente envie d’âme qui passe par les idées pour se faire comprendre. Là réside pour lui l’avenir de la littérature et de la pensée. Sa principale thèse consiste à déplorer le fait que l’essai ait été absorbé par le roman et que les grands essayistes du XXe siècle soient en fait des romanciers qui réfléchissent par récits interposés : Proust, Musil, Mann. Il s’en prend moins cependant aux romanciers qu’à ceux qui discourent sur le roman et qui en ont fait un instrument de guerre idéologique avec, au premier chef, Kundera. Beaulieu dénonce ainsi la domination écrasante de cette idéologie romanesque qu’il considère comme dévastatrice parce que le roman est devenu le moyen de conserver la mémoire et le sens de la vie. Il le rend responsable de l’appauvrissement de l’âme occidentale et de la promotion du relativisme des valeurs, dont le perspectivisme exacerbé empêche toute forme d’autorité d’être entendue. Le roman est devenu le paradis de l’individu, son expression esthétique, et en un effet de retour, les ruines morales et métaphysiques qui nous entourent résultent de son hégémonie qui ne laisse subsister qu’une multitude d’égos solitaires dans un monde vide. La pensée romanesque, du moins telle qu’un Kundera et ses disciples la conçoivent selon Beaulieu, contient en germe toute la médiocrité contemporaine, son absence d’élévation et la source de l’abandon du souci de l’âme. Il regrette l’éradication de la transcendance qu’il accuse le roman d’avoir suscitée en ne sachant pas répondre à l’exigence de la vie de l’esprit. L’essayiste s’inspire abondamment du phénoménologue tchèque d’obédience heideggérienne Jan Patočka et de Hannah Arendt, ainsi que d’esprits réputés conservateurs comme Richard Millet (L’enfer du roman, 2010), pour critiquer les apories de l’âge romanesque et la fermeture de l’âme qui lui correspond.

Toute pensée, pour Beaulieu, est une recherche de la vérité, ce qui le rapproche du dernier Todorov, celui de La littérature en péril (2007) qu’il aurait pu aussi citer à l’appui de sa thèse. Cependant, tout à sa diatribe contre la relativité des points de vue dont serait responsable le roman et tout inspiré qu’il soit par la quête d’ancrages autoritaires, l’auteur semble récuser le fait qu’il y ait plusieurs façons d’effectuer cette recherche de la vérité (entendue comme « dévoilement », du grec alètheia), et le roman peut être une voie parmi d’autres. Après tout, il n’y a de vérité qu’humaine et même l’erreur fait partie de cette quête, puisque déjà dans l’antiquité, elle est toujours fragile, voilée, soumise à la tromperie ou à l’oubli, en un mot à la Léthé. La charge de l’auteur contre le roman, « devenu l’ennemi public de la littérature », est si caricaturale que le propos perd de sa crédibilité par moments. Il ne faut pas oublier qu’il [End Page 95] y a une vérité qui est constitutive du fictif...

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