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Reviewed by:
  • Le cimetière des humanités by Pierre-Luc Brisson
  • Hans-Jürgen Greif
Pierre-Luc Brisson, Le cimetière des humanités, Montréal, Poète de brousse, coll. Essai libre, 2014, 106 p., 18,00$

On se souvient des 101 lettres à un premier ministre de Yann Martel (2011), dans lesquelles l’auteur de L’histoire de Pi se posait dans le sous-titre la question « Mais que lit Stephen Harper ? » Doté d’une admirable patience, Martel a envoyé toutes les deux semaines, du 16 avril 2007 au 31 janvier 2011, un ou plusieurs livres à l’ex-premier ministre du Canada, accompagnés d’un bref commentaire, situant le livre et expliquant le choix de l’expéditeur. En tout, il a reçu sept accusés de réception pour cette petite bibliothèque savamment composée, comprenant des œuvres de Hemingway à Joseph Roth, de Stefan Zweig à Wajdi Mouawad, de Shakespeare à Voltaire, de la Chanson des Nibelungen à Italo Calvino. De monsieur Harper, jamais un mot, aucun commentaire, un comportement d’une opacité totale, comme d’habitude. Au lecteur de s’imaginer ce qui a bien pu passer par la tête du chef d’État en lisant des titres comme La mort d’Ivan Ilitch, En attendant Godot, Runaway ou The Door. Supposons qu’en homme très occupé, il n’a jamais vu ces livres ni fait preuve du moindre intérêt pour les envois de Martel.

Des classiques donc, des « incontournables », des œuvres qui nous font réfléchir sur l’Homme, pourquoi et comment il vit, quelles raisons le poussent en avant. Dans sa présentation de l’essai de Pierre-Luc Brisson, G. Leroux écrit qu’il nous faut trouver un nouvel équilibre entre « la juste mémoire de la culture des humanités et l’ouverture aux figures du présent ». Nous voilà au centre des réflexions que nous présente Pierre-Luc Brisson, indigné par l’ignorance qui s’étend partout dans les sociétés occidentales, [End Page 86] par le profond abrutissement culturel, qui fait oublier aux jeunes les fondements mêmes de la pensée. Qu’est devenu le désir le plus ardent de la Renaissance, celui de la liberté de penser, de rejeter l’enfermement dans des dogmes d’Église avec les abus qui en résultaient et qui, après la révolte de Luther et le grand schisme, ont entraîné la mort de millions de chrétiens dans les guerres de religion ?

Puisque nous avons perdu contact avec le passé, nos écoles sont aujourd’hui des cimetières pour les sciences humaines, les humanities, comme on les appelle du côté anglophone, et qui caractérisaient l’homme nouveau de la Renaissance. De nos jours, les écoles sont muselées par la trop lourde main des ministères de l’Éducation, aidés en cela par l’industrie. C’est un fait avéré : nos écoles sont devenues des « centres de formation professionnelle d’une main-d’œuvre dite qualifiée ». Avec son plus récent essai (après le mémorable Printemps érable, de 2012, où il avait analysé les suites de la contestation des étudiants), Brisson a rédigé un vibrant plaidoyer pour faire redécouvrir aux élèves les auteurs de l’Antiquité dont les sujets ressemblent de manière stupéfiante aux problématiques qui sont on ne peut plus modernes. N’oublions pas que chaque période de l’humanité porte son lot de questions difficiles auxquelles il lui faut répondre, alors qu’au fond, même si elles se présentent sous des formes chaque fois différentes, elles touchent invariablement nos faiblesses et nos travers : la haine de l’autre, causée par notre ignorance de sa culture ; l’indifférence devant sa souffrance ; l’envie, résultat de notre aveuglement, etc. « L’école doit répondre aux développements et aux demandes de la société », dit le slogan. Elle est donc orientée sur les « sciences utiles » au détriment d’autres, considérées comme « dangereuses et inutiles » : la littérature, les études classiques (« à quoi ça sert, apprendre le...

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