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  • Poésie
  • Daniel Gagnon

La poésie cette année, à l’aube de la perpétration des attentats ignobles à Paris et à Beyrouth, n’est pas étrangère à ce qui se passe, elle porte les secrets de l’âme, même vacillant sous le vent mauvais. Les menaces mortelles de ce monde, elle peut les transformer, elle en a la force. Mais il est temps qu’elle manifeste sa vigueur, tant la véracité des soupçons de catastrophe, tant les persécutions et les guerres étendent leur main noire sur toute la terre. Nonobstant quelques exceptions, le cru de 2014 n’est pourtant pas des plus puissants, comme si la poésie ne voulait pas confronter ce qui l’attendait, préservant trop son petit bonheur, faisant trop son petit bonhomme de chemin, alors que le monde va à la dérive et que tout se déroute. Elle a oublié qu’elle a un rôle majeur à jouer : il nous faudrait des phrases acérées dans ce monde à la tension quasi insoutenable, devant ces faits de guerre qui nous font venir les larmes à chaque semaine. On n’a pas vraiment besoin en ce moment de cantilènes en gelée. On a besoin d’oxygène, de l’Oxygène comme si bien le criait, le chantait la diva Diane Dufresne. Poésie, debout !

rage, révolte et résistance

Jacques Rancourt, dans Quarante stations pour une ville dévastée, fait entendre une voix tour à tour révoltée, blessée, indignée par la lâcheté des gouvernants responsables de la catastrophe de Lac-Mégantic : « Pendant ce temps à Nantes / l’ingénieur est descendu du train / l’ingénieur le chef de train le conducteur / c’est la même personne à la MMA / il est seul par dérogation de Transports Canada / seul pour 5 locomotives et 6 fois 12 wagons-citernes / et la locomotive de tête qui tourne toujours ». Et au lieu de parler d’une voix cérébrale, désabusée, frileuse ou pessimiste, Rancourt secoue, dans ce récit-poème, l’apathie qui a entouré ce drame en écrivant des mots forts, personnels, des mots révoltés, avec tout l’art de la poésie, d’un seul cœur, parlant non pas de la tête, mais du plus profond de sa peine de poète natif de la petite ville bijou : « Pendant ce temps à Lac-Mégantic / on danse toujours au Musi-Café / comme jadis sur le pont d’Avignon / on danse autour de deux chansonniers / de deux anniversaires de 37 et 40 ans / la nuit reste douce et la bière légère / c’est l’été l’éternité pour un moment encore ». Le premier ministre Stephen Harper lui-même, arrivé en avion au-dessus de la catastrophe, a comparé le centre de la petite ville à un terrain bombardé. Le poète est horrifié par la barbarie de l’accident ferroviaire qui a calciné, souillé, [End Page 45] détruit le centre de sa petite ville aimée. Il crie contre l’injustice, contre l’abandon de sa population, contre l’oubli dans lequel on tient la petite population éprouvée qui a basculé dans l’horreur dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013 : « Or le temps est un moteur à pompe / une instance de la matière à la merci de la matière / Il est 1 h 14 du matin et plus de 100 kilomètres heure / quand le monstre de pétrole et d’acier débouche au centre-ville / quand de derrière la rue Cartier à la jonction Laval-Frontenac / le train ivre déboule au cœur de la ville / déchirant la nuit comme on éventre une bête ».

C’est un cri rentré, fou de rage, un cri douloureux, des mots découpés au scalpel. Le poète raconte la chose, l’horrible chose, avec une sorte de retenue froide, dans des phrases extrêmement limpides, trop limpides, sur un ton d’observateur, exprès pour stigmatiser la folie meurtrière de cette nuit, son éloquence légèrement aseptisée rendant très bien son...

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