In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Nouvelle1
  • Michel Lord

L’année 2014 a été assez fertile dans le champ de la nouvelle. Bertrand Bergeron est revenu à ses amours après quelques décennies de silence relatif. D’autres, parmi les figures de proue, ont persisté et signé : Hans-Jürgen Greif, Jean-Paul Beaumier, Sylvie Massicotte, Claudine Potvin, Gaëtan Brulotte. Peu de chocs ou de belles surprises chez les nouveaux venus dans le champ nouvellier, Daniel Castillo Durante et Sylvie Gendron mis à part. Deux collectifs et une anthologie offrent érotisme, crimes et paysages urbains. De quoi s’en mettre plein la vue. Fidèle à mon habitude, je vais déambuler au milieu de ces tableaux d’une exposition narrative pour en montrer les hauts et les bas, et faire valoir autant les zones d’ombre que les clairières lumineuses. [End Page 18]

Après une pause de plus de vingt ans, Bertrand Bergeron revient avec son cinquième recueil de nouvelles, Ce côté-ci des choses, lui qui a obtenu deux fois le prix Adrienne-Choquette en 1988 et 1993. Il avait causé un bel émoi chez les happy few en 1986 avec Parcours improbables, titre qui définit en partie sa démarche tout au long de ces presque trente ans de carrière strictement nouvellistique. L’illustration de la page couverture est frappante : une anciennne locomotive ferrovière, toute fumante, s’apprête à plonger dans une masse d’eau glacée après être passée sous une formation rocheuse absolument bizarre. Ce côté-ci des choses est surtout l’autre côté du miroir, celui déformant d’une réalité qui nous échappe, nous engloutit. Une des denières nouvelles du recueil, « L’angoisse de la page blanche », est sans doute emblématique de cette échappée du réel, qui prend ici la forme de l’emprise de l’irréel sur la réalité. Le narrateur, auteur de nouvelles, de poésie, a la surprise de voir se profiler sur la page blanche une écriture qui n’est pas de sa main. Cela s’écrit tout seul. Stupéfié, il va dans un café pour voir si le phénomène se reproduit en public, mais non, uniquement en privé. Un jour, pourtant, il retrouve la possibilité d’écrire de sa propre main, mais ce qu’il écrit a un goût de déjà vu. Les quarante nouvelles du recueil ne ressemblent toutefois pas à cette dernière qui, pour une rare fois chez lui, raconte une histoire. Règle générale, Bergeron demeure fidèle à sa manière fondée sur l’écriture du fragmentaire et du très bref. La plupart des textes—dont le quart a paru dans la revue XYZ entre 1998 et 2014—ont entre 2 et 4 pages. Seules deux nouvelles ont dix pages et plus. Il y en a même une, l’avant-dernière, qui ne comporte qu’un seul mot : « Déjà ». Même son titre et sa dédicace sont plus longs : « Trop tard » dédicacé « À Gilles », dont on devine qu’il s’agit de l’éditeur de L’instant même, Gilles Pellerin. D’ailleurs, le titre du recueil provient d’un texte de Pellerin lui-même, donné en épigraphe au tout début du recueil : « je ne sais toujours pas comment j’arrive à accoster de ce côté-ci des choses » (d’abord paru dans XYZ. La revue de la nouvelle en 1989). L’incertain et le sentiment d’étrangeté font partie intégrante de cet imaginaire fort particulier. La nouvelle d’ouverture, « La concurrence », évoque dès le départ un univers étrange, bien que dans un lieu familier : sur une plage à Magog, fréquentée par des exhibitionnistes « à deux doigts du muscle nouveau, de la glande onirique », il y a « un autre russophone » et des gens qui « baragouin[e]nt un quelconque “Non speak ruskie” ». Un peu hermétique diront certains. Loin de là, dans « Ils ont dit », le texte entremêle description journalistique d’un crime commis par un tueur fou et les commentaires, genre clichés, que les gens peuvent faire en pareille circonstance. Est...

pdf

Share