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  • L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies by Olivier Le Cour Grandmaison
  • Delphine Peiretti-Courtis
L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies
Olivier Le Cour Grandmaison
Paris : Fayard, 2014, 361p., €23 (papier), €15.99 (format numérique)

L’ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison, L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, s’inscrit dans une historiographie déjà très riche, celle de l’histoire de la pensée et des pratiques coloniales, tout en y apportant une contribution originale. Cette œuvre de 340 pages nous dévoile le regard du médecin hygiéniste sur les populations et les terres colonisées et le rôle, incontournable, qu’il a joué dans de nombreux domaines de la vie coloniale.

Après une introduction détaillée sur les fondements et les finalités de l’hygiène aux colonies, cinq chapitres évoquent l’influence des hygiénistes sur les mentalités, les pratiques et les institutions créées au sein des colonies. L’auteur présente les principes de la pathologie exotique, les prescriptions des médecins à l’usage des colons, mais aussi la prise en compte de la santé des indigènes dans le but de conserver une main d’œuvre indispensable.

Au-delà des thèmes balisés par l’historiographie tels que l’exploitation coloniale, le travail forcé ou l’esclavage domestique, envisagés d’un point de vue essentiellement politique dans l’œuvre, l’originalité de cette étude réside dans la mise en lumière du rôle des hygiénistes dans la vie quotidienne aux colonies. Outre le « réglage » du mode de vie des colons, de leurs vêtements à leur alimentation ou leurs loisirs, les préceptes médicaux [End Page 248] influencent les pratiques urbanistiques et architecturales des milieux colo-niaux. La médecine imprime sa marque sur le paysage colonial. En outre, la mise en valeur des colonies et la division raciale du travail procèdent d’initiatives médicales, mais également de finalités politiques et économi-ques. Dans la rhétorique coloniale, l’indigène, jugé fort physiquement mais fainéant, doit, pour se civiliser, se soumettre aux exigences du travail requis par le colonisateur. Ce dernier, affaibli sous les tropiques, doit exploiter l’autochtone pour survivre, conserver sa suprématie et assurer la prospérité des colonies. Le lecteur retrouve des thèmes communs à l’historiographie coloniale, mais découvre également des faits moins connus. Si la question du travail forcé a déjà été traitée, l’auteur démontre que cette pratique a perduré après l’abolition de l’esclavage en 1848, qu’elle a connu un renouveau dans les années 1920, alors que cette période marquait le début de l’émancipation des colonies, et qu’elle s’est perpétuée jusque dans les années 1950.

Si les hygiénistes ont joué un rôle déterminant au sein de la vie coloniale, il aurait été intéressant de revenir sur les changements introduits par l’arrivée des pasteuriens dans les colonies dès le dernier tiers du 19e siècle. À cette époque, les thèses pasteuriennes commencent à concurrencer les théories hygiénistes. Cela entraîne des bouleversements dans les pratiques et les discours médicaux sur les indigènes, mais aussi dans les rapports entre les médecins sur le terrain africain. C’est alors moins le milieu et ses miasmes qui inquiètent, que l’homme porteur de microbes.

Certains thèmes mériteraient d’être plus abondamment développés, à l’instar du discours médical sur le métissage. Si les métis suscitaient la méfiance de nombreux médecins, parcequ’ils brouillaient les frontières entre les races, ils incarnaient aussi, pour beaucoup, l’espoir de la colonisation. Malgré la prégnance de la mixophobie–la peur du métissage –, bien relatée dans l’ouvrage, des courants mixophiles ont traversé la pensée médicale durant toute la période coloniale. Seule la mise en lumière des contradictions et des débats internes au monde colonial peuvent permettre d’appréhender la complexit...

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