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Reviewed by:
  • Cahier d’un retour au pays natal by Aimé Césaire, and: Cannibal Writes. Eating Others in Caribbean and Indian Ocean Women’s Writing by Njeri Githire
  • Emmanuel Bruno
Githire, Njeri. Cannibal Writes. Eating Others in Caribbean and Indian Ocean Women’s Writing. Urbana/Chicago/Springfield: University of Illinois Press, 2014. isbn 9780252038785. 244 p.

Partant du constat que la critique postcoloniale s’est intéressée, depuis ces dernières années, à la représentation de la nourriture et des pratiques et comportements alimentaires comme métaphores pouvant servir de paradigme théorique à l’étude des relations de pouvoir, le récent ouvrage de Njeri Githire atteste d’emblée que le poids de cette même représentation, dans la production littéraire et féminine des espaces postcoloniaux, nous amène à considérer en quoi l’intersection entre les notions de nourriture, de pouvoir et d’identité exprime non seulement l’imagination des écrivaines concernées, mais également leurs positionnements politiques et subversifs face aux aléas d’une histoire impériale, coloniale, ou même contemporaine, sans cesse (ré)inscrite dans des logiques d’exploitation et de domination. Aussi l’universitaire tente-t-elle, avec Cannibal Writes, d’étendre ces mêmes considérations en y associant la contribution des littératures insulaires de la Caraïbe et de l’océan Indien en particulier. Si, du fait de son exiguïté, de son isolement, de ses frontières géographiques qui le contraignent à la marginalité, l’espace insulaire semble certes particulièrement sujet à des formes diverses de contrôle, d’exploitation, de surveillance et d’incorporation à des instances territoriales dominantes, l’histoire des îles desdites régions rappelle en effet l’économie de la plantation, responsable depuis longtemps de leur inscription dans un ordre capitaliste mondial ayant nécessité la marchandisation, l’exploitation et le déplacement de divers groupes humains. Sans doute est-ce la raison pour laquelle l’étude de Githire associe alors à la question de la consommation et de la nourriture, des parcours de déplacement et de migration, en soulignant comment les littératures des espaces insulaires en sont, aujourd’hui encore, imprégnées. En effet, les îles constituent depuis longtemps l’espace où se manifestent les ambitions et les excès de la consommation occidentale et ce, même dans l’histoire plus récente avec le développement des industries touristiques permettant aux Occidentaux de mieux consommer l’exotisme insulaire.

Prenant alors pour objet d’étude un “palimpseste de métaphores” (29) liées à la notion de cannibalisme—longtemps employée, dans la tradition littéraire européenne, pour souligner la sauvagerie et le primitivisme absolus de l’autre face à la civilisation occidentale—Cannibal Writes examine la manière dont les représentations de la nourriture et des comportements alimentaires renvoient symboliquement à la dialectique opposant soi et autre. En effet, si les connotations [End Page 195] de monstruosité, de mauvais goût, de pratiques taboues ou interdites de consommation, participent bien aux mécanismes de fabrication de l’altérité, la figure du cannibale—dans le principe colonial de l’expansionnisme européen—a cristallisé l’idée qu’il importe de civiliser l’autre, sans quoi celui-ci dévorerait l’être civilisé. Githire analyse notamment comment les œuvres d’écrivaines contemporaines—issues des îles créoles telles que La Réunion (Monique Agénor), Maurice (Marie-Thérèse Humbert et Lindsey Collen), la Guadeloupe (Maryse Condé et Gisèle Pineau), Haïti (Edwidge Danticat) ou encore la Jamaïque (Andrea Levy)—, répondent de façon subversive à cette instrumentalisation coloniale de la figure du cannibale. Son ouvrage postule ainsi que chacune d’elles recourt, à sa manière propre, aux métaphores liées à la (non-)consommation alimentaire pour symboliser des situations sociales, culturelles, économiques ou encore politiques, prises dans les filets des rapports de force et de domination. Cette pratique d’écriture n’est pas sans rappeler la subversion du personnage de Caliban qui, dans Une Tempête d’Aimé Césaire, revendique sa sauvagerie. Le cannibalisme en effet, comme thématique, permet de rassembler des considérations aussi diverses et pourtant bien...

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