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Reviewed by:
  • Paradis blues by Shenaz Patel
  • Emmanuel Bruno Jean-François
Patel, Shenaz. Paradis blues. La Roque d’Anthéron: Vents d’ailleurs, 2014. isbn 97823641304556. 61 p.

S’appuyer sur la singularité d’un parcours personnel pour le sortir de son isolement, de son silence imposé, en faire un nouveau récit pour l’inscrire au cœur d’une parole décuplée. Dans une volonté de dire que si tout être est une île, toute îlienne est une île singulière. Ce sera donc Paradis Blues. […] Au-delà, conjuguer une nouvelle poétique de la rencontre pour dire, en chacun de nous en tout lieu de la planète bleue, ces morceaux de terre qui empruntent, à la mer matricielle, le songe obsédant de la mouvance, celle qui les rapprocherait des autres îles éparpillées ça et là.

(59–61)

Ces quelques phrases, tirées de la section écrite “en guise de notes” et figurant à la fin de l’ouvrage de Shenaz Patel, résument à la fois le projet et la démarche de la romancière mauricienne qui adapte, avec Paradis blues, un monologue théâtral initialement mis en scène par Ahmed Madani et représenté par la comédienne Miselaine Duval, d’abord au Centre Charles Baudelaire à l’Île Maurice, puis au Festival des Francophonies de Limoges en 2009. Librement inspirée de la vie de ladite comédienne, [End Page 192] cette narration autofictionnelle écrite à la première personne, et mettant en scène le personnage de Mylène, concrétise en effet un véritable projet de collaboration, et constitue à première vue le point d’intrication où s’articule le récit intime d’une révolte, d’une prise de conscience de soi et d’une solidarité tant féminines que féministes. Pour autant, si le titre du texte interpelle d’emblée par son caractère translinguistique et le jeu des signifiants qu’il élabore, c’est aussi que le long monologue constituant la quasi- totalité du récit effectue, quant à lui, et selon les mots de l’écrivaine, une double tâche allégorique en déconstruisant, d’une part, l’image de ce fameux “paradis bleu” que représente l’espace insulaire, et en récusant, d’autre part, le retranchement voire l’isolement dont il fait l’objet dans un imaginaire géographique où il est constitué comme espace marginal et/ou périphérique. C’est là en effet que se situe, à mon sens, une des principales clés du texte de Patel: en détournant une certaine tradition littéraire qui associe l’image de l’île exotique à celle de la femme. En donnant mots, voix et rythme au récit subalterne et singulier de Mylène—figure de l’opprimée dont la subordination, tant par les hommes que par d’autres femmes, renvoie également à la condition même de l’île postcoloniale—, l’écrivaine réinvestit ces voix longtemps réduites au silence et relie, en filigrane, “ces morceaux de terres,” ces subjectivités disparates et divisées, dans une géographie de la souffrance qui, à l’image des archipels créoles, est celle de l’éparpillement.

Donnant corps et chair à la psyché intime de sa narratrice, le récit de Patel fait en grande partie état des violences sociales que subit Mylène, sa vie durant, du fait de son statut et de sa condition de femme: son arrêt prématuré de l’école, ses emplois successifs à l’usine de textile et de chaussures, sa quête désespérée d’un prétendant européen qui la sortirait de l’île en lui offrant la réussite d’une vie ailleurs, son mariage désespéré à un homme qui la malmène, sa grossesse échouée qui fera d’elle une épouse indigne, mais surtout l’étouffement graduel de ses mots et de sa langue: “Tu sais bien, tu ne dois pas laisser la place à ces mots. Ce n’est pas bien” (23); “Langue. Langue. Tu dois savoir la tenir. Ta langue. Langue de vipère. […] Prends ça dans la gueule. Tu vas la fermer? Ta...

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