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  • Après l’apartheid. La protestation sociale en Afrique du Sud by Jérôme Tournadre
  • Laurent Fourchard
Jérôme TOURNADRE. – Après l’apartheid. La protestation sociale en Afrique du Sud, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 269 pages. « Res Publica ».

Depuis la fin des années 1990, l’Afrique du Sud connaît une vague de mobilisation continue à raison de plusieurs milliers de manifestations par an. Celles-ci, le plus souvent qualifiées de service delivery protests, dénoncent pour l’essentiel le manque de logements, l’accès défaillant à des biens et services élémentaires (l’eau, l’électricité, l’assainissement et la santé) ou visent à résister aux expulsions ou aux résiliations de contrats imposées aux ménages incapables d’honorer leurs factures. Elles sont [End Page 181] portées par des organisations apparues dans les années 2000 (Anti-Privatisation Forum, Landless People’s Movements, Concerned Citizens Group, Anti-Eviction Campaign, Sevroy Electricity Crisis Committee, Abhalali baseMjondolo) et ont conduit certains analystes à considérer qu’aucune autre nation ne semblait connaître un tel niveau d’agitation sociale au cours de cette décennie. C’est à ce phénomène et à ces groupes que Jérôme Tournadre consacre son ouvrage. Le terrain effectué de 2003 à 2009 lui a permis de recueillir une cinquantaine d’entretiens auprès des acteurs de la protestation mais aussi d’observer in situ les actes militants individuels, les mobilisations collectives et le fonctionnement de ces organisations au quotidien. Le premier intérêt de l’ouvrage est de rendre compte de la pratique militante dans ce qu’elle a de plus ordinaire et de plus individuel. Il est aussi de montrer la grande hétérogénéité des engagements et de la diversité des causes tout en décryptant les formes naturalisées de ces luttes par les militants et par une partie de la recherche académique. L’auteur réussit notamment à articuler de manière convaincante une sociologie du militantisme à une historiographie sud-africaine des mouvements sociaux particulièrement riche et parfois considérée comme enclavée.

Cette résurgence de la protestation s’inscrit dans une politique de restriction budgétaire adoptée dès 1997 par le gouvernement sud-africain et qui a conduit à une baisse drastique du montant des allocations de l’État aux pouvoirs locaux, au gel de l’emploi municipal et à une logique de recouvrement des coûts des services. Certaines études estiment ainsi qu’entre 1994 et 2002, dix millions de Sud-africains se sont vu retirer leur accès à l’eau et autant à l’électricité. Plus de deux millions d’individus auraient perdu leur logement à la suite de non-paiement de leurs diverses factures, loyers ou traites. L’auteur nous invite cependant à ne pas réduire cette agitation aux effets de la politique néolibérale du gouvernement sud-africain.

Au cœur de l’ouvrage se trouve l’interrogation d’un modèle de militantisme sudafricain : la protestation sociale est souvent assimilée par les acteurs à un mouvement porté par les membres de la « communauté ». Ce mot, convoqué très régulièrement, renvoie dans la pratique « à une culture spécifique et une solidarité à l’œuvre dans les townships et traduit pour l’essentiel des tentatives de mise en sens et en forme du social par différents acteurs et notamment ceux qui s’y investissent au quotidien, les leaders communautaires » (p. 67). L’auteur excelle ainsi à dénaturaliser l’usage du terme dans les townships. Il montre que leaders et militants se dotent d’attributs moraux, ils engagent des luttes en se rebellant contre la rupture d’un pacte tacite entre le peuple et les élites. Expulser les résidents pauvres des maisons « achetées par Mandela pour le peuple » est ainsi considéré comme une rupture de ce contrat moral noué à la fin de l’apartheid. Protester contre ces évictions, c’est protester contre le manquement à ce devoir. Mais protester est aussi « un moyen de participation comme un autre » (p. 19). Cela suppose de s’inscrire dans une historicité singulière, celle des manifestations des années 1980 qui...

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