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  • Les féminismes en Europe, 1700-1950. Une histoire politique by Karen Offen
  • Ingrid Hayes
Karen OFFEN.– Les féminismes en Europe, 1700-1950. Une histoire politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 544 pages. Préface d’Yvonne Knibiehler, traduction de Geneviève Knibiehler.

L’ouvrage de Karen Offen constitue une impressionnante synthèse dont l’objectif est de reconstituer l’histoire du féminisme européen. Fondé sur une étude détaillée des sources primaires, il s’appuie également sur un état très précis de l’historiographie et de la bibliographie disponibles. On y retrouve analysés tout à tour les écrits et prises de position de grandes figures intellectuelles et militantes, de Condorcet à Hubertine Auclert, Virginia Woolf ou Clara Zetkin, ainsi que certains grands antiféministes, comme Rousseau. Le choix de la période résulte d’une volonté explicite de réhabiliter, ou au moins de sortir de l’ombre, les féministes d’avant les années 1960, afin de battre en brèche l’idée qu’il y aurait une « année zéro ». Pour ce faire, Karen Offen fait débuter son propos avant l’émergence de tout mouvement de masse, notamment sur la question du droit de vote, avant même l’invention du mot. Sa thèse est que la question de l’émancipation des femmes a structuré le débat politique depuis les Lumières.

Karen Offen expose le résultat de ses recherches en suivant un plan chronologique, qui consacre une partie à chaque siècle, XVIIIe, XIXe et XXe. À chaque étape, l’historienne identifie à la fois des phases d’irruption féministe dans le débat public (1830, 1848, 1871, 1890), adossées le plus souvent à des soulèvements révolutionnaires, suivies de fortes réactions antiféministes. Elle conteste la métaphore des vagues, souvent utilisée pour caractériser l’histoire du féminisme, préférant le terrain [End Page 169] géologique, le féminisme venant attaquer les failles de la cuirasse du patriarcat. Il est vrai qu’en remontant en amont du féminisme lui-même, sans même parler de sa structuration en mouvement, on se situe dans une phase d’accumulation primitive qui ne produit pas de déferlement.

Le choix chronologique associé à la répétition de ces cycles irruption/réaction donne à l’ouvrage une structure en spirale, renforcée par le fait qu’on retrouve des thématiques voisines, l’éducation, la famille/le mariage, le vote, le travail et la reproduction. C’est le cas dès le XVIIe siècle. Critique du mariage qui institutionnalise la subordination des femmes, d’une éducation superficielle, fondée sur la négation de la capacité des femmes à raisonner, et réflexion sur le rôle des femmes, dans une approche chère à l’autrice : au-delà des revendications d’égalité dans l’accès à la connaissance et au travail, c’est en tant que mères que les femmes ont une mission cruciale pour l’avenir de la société. La Révolution française vient donner un cadre permettant l’approfondissement et l’articulation des revendications féministes, en y ajoutant la problématique de la citoyenneté politique. La question des femmes est évidemment à resituer dans un contexte intellectuel et politique qui voit le débat concernant les droits naturels porter aussi sur la traite des Noirs ou l’émancipation des Juifs. Si, au terme de la Révolution, la citoyenneté et l’espace public se déclinent au masculin, la seule justification de l’exclusion des femmes ne peut désormais résider que dans des différences de nature. Les antiféministes, révolutionnaires ou non, s’emploient à étayer ce point de vue. On retiendra l’idée féconde que la réaction aux demandes d’émancipation des femmes est peut-être une « caractéristique centrale de la fameuse opposition à la Révolution française ».

Les revendications féministes s’expriment plus largement au siècle suivant, malgré une féroce répression qui tend à exclure les femmes de l’espace public et ralentit, voire étouffe...

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