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  • Histoire et cultures alimentaires
  • Martin Bruegel
Bonneau, Michel— La table des pauvres. Cuisiner dans les villes et cités industrielles 1780-1950. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 414 p.
Durand, Caroline— Nourrir la machine humaine: Nutrition et alimentation au Québec, 1860-1945. Montréal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2015, 301 p.
Mosby, Ian— Food Will Win the War – The Politics, Culture, and Science of Food on Canada’s Home Front. Vancouver, University of British Columbia Press, 2014, 268 p.
Tessier, Yves— L’alimentation – du Big Bang au Big Crunch. Une histoire étonnante. Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, 378 p.

Lorsque l’anthropologue Marcel Mauss désigne l’alimentation comme un « fait social total », il entend souligner trois aspects.1 Il rappelle que les pratiques alimentaires sont le résultat d’un grand nombre de déterminants économiques, sociaux, religieux, juridiques et moraux. L’étude spécialisée ne suffit donc pas à les expliquer. Au contraire, elle doit nécessairement conduire à l’examen de questions plus générales, comme celle des rapports entre la production, la distribution et la consommation, entre les temps et les rythmes sociaux, entre les normes sociales et le cadre légal, entre l’univers culturel et les répertoires alimentaires. Ensuite, Mauss précise que les relations de l’alimentation avec d’autres objets sont réversibles. C’est en partant des pratiques et des habitudes alimentaires pour analyser d’autres aspects de la vie économique et sociale qu’on parvient le mieux à les expliquer. Ainsi, la commensalité éclaire les relations sociales parce que les repas contribuent à leur reproduction physique et symbolique. Finalement, Mauss attache une importance particulière à la morphologie sociale. Par là, il agit contre la tentation de penser la culture comme unitaire – une « toile de significations », dira Clifford Geertz – et d’oublier l’organisation hiérarchique de toute société. L’examen de l’expérience la plus ordinaire doit ainsi tenir compte des rapports de force dont elle et ses interprétations sont empreintes.2

Le schéma triangulaire proposé par Mauss – alimentation, mode de vie, morphologie – constitue un canevas bienvenu pour rendre compte de livres [End Page 177] consacrés aux pratiques et discours alimentaires. Son intérêt est d’autant plus grand qu’il suggère non seulement les dimensions de l’alimentation et leur capacité d’expliquer le fonctionnement social. Il esquisse en creux les travers dans lesquels peuvent s’égarer les auteurs qui en font leur problématique de recherche. D’un côté, s’enfermer dans l’étude de la consommation alimentaire et accumuler les études de détail serait se donner l’illusion de tout savoir en s’ôtant le moyen de ne rien comprendre. De l’autre côté, l’abandon du travail empirique dans les archives et le renoncement au contrôle que celles-ci imposent à l’imagination du chercheur déboucheraient immanquablement sur la sorte de spéculation libre, mais triviale, que l’on assimile communément avec les essais.

Dans L’alimentation, du Big Bang au Big Crunch d’Yves Tessier, l’histoire de l’alimentation – « étonnante » comme l’annonce le sous-titre – n’est en fait qu’un prétexte pour un plaidoyer en faveur d’un humanisme écologique. L’idée de ce projet, sympathique mais simpliste, serait de penser conjointement l’homme et la nature plutôt que de les opposer, d’œuvrer pour une prise de conscience individuelle (économisons l’eau car « les petites gouttes se transforment en torrent », p. 363), d’implémenter des régulations économiques plus strictes afin de prévenir le gigantisme industriel et de taxer les aliments dont la surconsommation provoque des maladies dites de civilisation. Sans être rétromaniaque, cet humanisme propose un assez brumeux retour aux sources d’une existence locale, proche de la nature bienfaisante, artisanale, laissant une bonne part à l’imaginaire, etc. Le refus de la recherche effrénée du gain économique et un soin particulier porté à la gestion des ressources naturelles contribueraient à infléchir le réchauffement climatique, ralentir l’extinction massive d’espèces biologiques et prévenir la contraction de l’approvisionnement...

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