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  • Écrire le temps: Les Tableaux urbains de Louis Sébastien Mercier by Geneviève Boucher
  • Hugo Sert (bio)
Écrire le temps: Les Tableaux urbains de Louis Sébastien Mercier par Geneviève Boucher Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal, 2014. 272pp. CAN$34.95; €31. ISBN 978-2-7606-3444-2.

Cet ouvrage, issu d’une thèse de Doctorat soutenue en 2010, propose une lecture comparée originale, érudite et très richement référencée, du Tableau de Paris (1781-88) et du Nouveau Paris (1798) de Louis-Sébastien Mercier, en inscrivant les deux œuvres panoramiques dans ce que l’auteure théorise comme étant une véritable « révolution temporelle » (9) du xviiie siècle. Cette révolution, dont les conséquences en littérature sont à la fois un « goût pour la contemporanéité » (23) et une sensibilité accrue aux métamorphoses de l’Histoire, doit informer la lecture de la « physionomie morale » que dresse Mercier de la capitale autant que les révolutions politique, scientifique et littéraire du siècle. Dans ces années 1780-1790, la « révolution temporelle » confère au présent une nouvelle valeur philosophique qui pousse l’écrivain, dans la lignée de Lesage, Marivaux et Diderot, à observer et décrire les mœurs [End Page 768] qui lui sont contemporaines, et non plus seulement à fantasmer, sous le joug des règles et des codes des siècles précédents, les mœurs des temps anciens. Or ce programme de captation du contemporain affiché dès l’entrée du Tableau par le promeneur mercérien, et annonçant celui que se fixe quelques années plus tard le « Spectateur-nocturne » dans les Nuits de Paris de Rétif de la Bretonne, se trouve mis à mal en ces années qui voient s’enchaîner les bouleversements politiques, sociaux, moraux et artistiques. L’œuvre de Mercier se trouve confrontée à une problématique qui conduit Geneviève Boucher à constituer, pour paraphraser le titre de Michel Delon, une étude de l’idée de temps au tournant des Lumières, à savoir: comment saisir et fixer le présent pendant une période historique caractérisée de manière inédite par l’accélération du temps?

Boucher replace les textes dans les contextes de la fin de l’Ancien Régime et de la période thermidorienne, et étudie les inflexions de la sensibilité temporelle de l’écrivain entre le Tableau de Paris et le Nouveau Paris. Elle met au jour les strates de l’imaginaire temporel complexe de Mercier, qui lui servent à structurer son étude. Elle montre, à travers trois grands axes qui dialectisent les rapports passé-avenir-présent, que l’auteur de Lan 2440: Rêve s’il en fût jamais et et d’une Histoire de France en six volumes, oscille entre nécessité d’un héritage et constat de la rupture irrémédiable, refusant de choisir de manière trop schématique entre une représentation cyclique et une représentation linéaire de la temporalité historique. Mercier incarnerait la dualité de la conscience historique moderne qui naît pendant ce tournant de siècle.

Dans une première partie intitulée « Faire revivre le passé », Boucher donne à voir l’« épaisseur temporelle » (32) qui caractérise Paris avant la Révolution, en comparant notamment le Tableau avec les Songes et visions philosophiques: l’écrivain-promeneur marche alors dans une ville-signes, et semble traverser les âges en même temps qu’il traverse les rues. La Révolution vient métamorphoser ce rapport au passé, ce que démontre l’étude détaillée d’un article publié par Mercier dans le Journal de Paris en 1797 (« L’arrangement du dépôt des Petits-Augustins, dit le musée des Monuments français »). Les événements politiques historicisent un présent qui dès lors prend toute la place dans la conscience collective, et les témoignages architecturaux des époques passées, devenant des ruines réelles ou des œuvres d’art muséifiées, participent paradoxalement à disqualifier le pass...

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