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  • Les chronotopes juridiques chez Mariana Valverde:Regards dialogiques et intertextuels sur le droit et la théorie
  • Joao Velloso and Marie-Eve Sylvestre

Dans Chronotopes of Law, Mariana Valverde signe un ouvrage important et susceptible d’avoir une influence considérable dans les études socio-juridiques, non seulement en raison du capital symbolique considérable dont l’auteure jouit dans ce champ scientifique (Bourdieu 1976), mais surtout en raison de la diversité des savoirs qu’elle mobilise et de l’utilité des outils théoriques tirés des travaux de Bakhtin qu’elle met de l’avant, soit l’intertextualité, l’hétéroglossie, le dialogisme et plus particulièrement, le chronotope. À ceux-ci, l’auteure ajoute également le concept de juridiction, un principe juridique éminemment technique, auquel elle donne une intéressante portée critique (Valverde 2015; 2009).

Le génie de cet ouvrage réside non seulement dans le fait de donner de la visibilité à certains outils conceptuels bakhtiniens largement méconnus, mais également en ce qu’il incarne véritablement l’esprit de son projet. Ainsi, ce livre se veut à la fois une critique et un dialogue avec la littérature en géographie du droit, en anthropologie juridique ainsi qu’en historiographie légale, autant de champs disciplinaires ayant valorisé l’une des dimensions du chronotope, soit l’espace, soit le temps, tout en sacrifiant sa contrepartie, et par le fait même, son unité et sa valeur ajoutée. En effet, bien plus qu’un arrangement ad hoc qui consisterait à ajouter une dimension temporelle à une conceptualisation spatiale et vice-versa, la notion de chronotope permet de décrire une représentation particulière de la connectivité espace-temps dont la combinaison fait ressortir une dimension affective (humeur « mood ») et symbolique lourde de sens et de conséquences.

La dimension bakhtinienne de l’ouvrage va cependant encore plus loin. Valverde réussit le tour de force d’écrire un livre aux facettes multiples sans le diriger à un public en particulier (outre le fait que celui-ci est hautement spécialisé). Son sens se construit dialogiquement et polyphoniquement avec et dans l’audience, laquelle est forcément composée d’une multiplicité de référentiels. Si cela rend parfois la lecture du livre déroutante, notamment parce que les outils analytiques dévoilés dans le premier chapitre tendent, à l’exception de la notion de chronotope, à se dissiper complètement tout au long du livre, Valverde nous indique dans la conclusion que telles étaient précisément ses intentions, désireuse de voir comment les différentes audiences construiront le sens de ces différentes parties à partir de leurs propres expériences théoriques et empiriques (p. 181).

Avant de poursuivre, il nous semble donc approprié de nous situer en tant qu’audience, sémiotiquement parlant. Nous sommes deux chercheurs attachés institutionnellement à des facultés de droit, mais ayant également un pied dans la criminologie critique, la géographie du droit et l’anthropologie juridique (plutôt le courant anglo-américain). Comme Valverde, nous posons un regard critique sur le droit, et particulièrement le droit étatique, en tant que stratégie de contrôle et de gouvernance de différentes populations, notamment les populations pauvres et marginalisées (Sylvestre et al. 2015; Sylvestre et al. 2011; Velloso 2013b; 2015). Nos travaux se plongent directement dans les « technicalités juridiques » (Riles 2005; [End Page 118] Valverde 2009; Blomley, 2010), tant au niveau des savoirs et des processus que des techniques et des discours véhiculés par les acteurs, afin d’en étudier les conséquences, notamment sur le plan des droits (Sylvestre et al. 2015). En outre, nos recherches portent sur la présence de configurations pénales hybrides et sur la coexistence et la complémentarité de diverses logiques et sensibilités juridiques à vocation punitive dans le droit étatique (hétéroglossie juridique: Velloso 2013a), brouillant les frontières du pluralisme juridique « faible » et « fort » à partir de reconstructions locales du droit (Geertz 1986) et de dynamiques internormatives (intertextuelles?) (Belley 1996). Ainsi, plus qu’une audience spécialisée et intéressée, nous sommes à la quête d’outils analytiques pour penser...

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